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L’IDÉE DE JUSTICE SOCIALE
D’APRÈS LES ÉCOLES CONTEMPORAINES

« Les grandes passions, a dit Carnot, font les grandes nations. » Oui ; et aussi les grandes idées, sans lesquelles il n’y a point de grandes passions. Tous les peuples, il est vrai, ne sont pas également accessibles à l’action des idées, pas plus que tous les cerveaux individuels ne renferment la même intelligence ; mais plus un peuple est intelligent et s’intellectualise par la civilisation même, plus est inévitable sur lui l’empire des forces intellectuelles. Pendant longtemps, la conception de l’équilibre européen a dominé la conduite des gouvernemens et des peuples ; puis on s’est préoccupé des frontières naturelles, toujours insuffisantes et toujours violées ; depuis un certain nombre d’années, la pensée des nationalités a tout dirigé. Croit-on que ces dominations successives d’idées ne soient pas une preuve de la force qui appartient de plus en plus aux conceptions générales dans l’évolution des peuples ? La nation française est ouverte, plus que toute autre, au rayonnement des idées ; c’est parce qu’elle en a conscience qu’elle a toujours été portée à exagérer plutôt qu’à diminuer leur influence sur le cours de l’histoire.

De nos jours, sous l’apparent obscurcissement des consciences, n’y a-t-il point encore une grande idée qui, depuis longtemps à l’œuvre et se cherchant elle-même, se fait jour peu à peu comme l’expression la plus légitime des tendances généreuses de l’humanité, — celle de justice sociale ? La prétention à monopoliser un idéal inconnu aux autres peuples serait sans doute insoutenable : il n’est pas une nation moderne où ne se soient produites, à des degrés divers, les différentes conceptions de la