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l’indique le terme zend, le premier des êtres vivans, la première matière organisée et animée. Sitôt créé, l’esprit du mal porte sur lui le besoin, la souffrance et la maladie. Sous ses coups répétés, le taureau s’amaigrit, dépérit, et meurt. De chacun de ses membres sortent les diverses espèces de graines et de plantes salutaires ; de sa semence, les animaux utiles à l’homme. L’âme du taureau s’échappe à son tour ; elle se dresse devant le Créateur, et, d’une voix aussi forte que celle de dix mille hommes, et qui résume la plainte de toute la création, vouée à la misère et à la mort, elle lui crie : « A qui as-tu confié l’empire des créatures, que le mal ravage la terre et que les plantes sont sans eau ? Où est l’homme dont tu avais dit : Je le créerai pour prononcer la parole secourable ? » Ormuzd emporta l’âme au suprême ciel, et pour la consoler lui montra le Ferouer de Zoroastre, en disant : « Je le donnerai au monde pour lui apprendre à se préserver du mal. » Plus tard, et à la fin des temps, de la semence de Zoroastre, portée dans la lune et purifiée par elle, naîtra Çaoshyo, le Sauveur, qui consommera la ruine d’Ahriman et, par la vertu d’un second sacrifice du taureau, donnera aux hommes l’immortalité à tout jamais[1].

Or, le taureau mithriaque est bien le taureau de la légende persane. De sa queue sortent des épis de blé ; à ses pieds se déroule le serpent, qui est Ahriman. Il se dresse pourboire le sang jailli sous le couteau sacrificateur ; mais un chien l’en écarte ; le chien, l’animal sacré par excellence, à qui l’Avesta consacre un fargard tout entier, dont il estime la vie presque à l’égal de celle de l’homme, le chien qu’encore aujourd’hui les Parsis approchent de la couche des mourans, pour qu’il dispute à l’esprit du mal l’âme qui va s’envoler.

Au figuré, le taureau du sacrifice représente donc la créature, l’être engagé dans les liens de la matière, en proie au mal physique et moral, le principe humide et terrestre qu’Aristote oppose au principe igné et céleste, représenté par le Lion ; en un mot, la bête humaine. On enseignait que l’âme ne peut être purifiée et sauvée que par l’immolation absolue et volontaire de l’être de chair et de péché qui est en nous. C’est ainsi que le sacrifice du taureau assure le salut ; c’est à cette immolation que Mithra convie ses fidèles.

Mais il est aussi un sacrifice de rédemption ; la

  1. Voyez James Darmesteter : Ormuzd el Ahrhman 2e part., ch. V).