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Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 152.djvu/587

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de la nuit, traversait Paris à cinq heures du matin pour s’en revenir à Versailles. La fantaisie lui prenait en passant de s’arrêter aux Halles. Elle se divertissait à voir les fruits apportés de tous les environs pendant la nuit. Elle profitait ensuite de l’occasion pour entendre la messe à Saint-Eustache, et, arrivant encore de bonne heure à Versailles, elle se donnait l’amusement d’aller surprendre le Roi dans son lit. Après quoi elle se couchait, et dormait toute la journée.

Les habiles courtisans, qui savaient que c’était le moyen de plaire, se mirent sur le pied de lui donner des fêtes dans la journée. Le duc de Gramont lui en offrit une à Paris, dans son hôtel, où il y eut des entrées de ballet. Mais la plus brillante fut celle que lui fit accepter le, duc de Lauzun, le fameux Lauzun, dans sa maison de Passy, qu’il avait achetée de Carelle, receveur des finances de la généralité de Paris. (En ce temps-là, c’étaient les grands seigneurs qui achetaient les hôtels des financiers, et non point les financiers qui achetaient les hôtels des grands seigneurs.) Ce singulier personnage, qui avait obtenu, non sans peine, de sortir de Pignerol et de reparaître à la Cour, ne pouvait se consoler de ne point avoir recouvré complètement son ancienne faveur. Voulant se faire bien voir, il profita de la faveur dont la duchesse de Bourgogne honorait la duchesse de Saint-Simon, propre sœur de la duchesse de Lauzun, pour lui offrir une fête, dont Saint-Simon et sa femme l’aidèrent à faire les honneurs. Tout fut réuni pour donner de l’éclat à cette fête : elle commença par un fou d’artifice et par des jeux de bague sur chevaux de bois, que la duchesse de Bourgogne courut pendant trois quarts d’heure « avec une adresse et une grâce merveilleuses. » Elle se continua par une reprise d’hombre dans un cabinet fort agréable, et par le spectacle d’un joueur de gobelets qui amusa la Princesse durant une demi-heure. Enfin elle se termina par « un repas très propre, très délicat et fort abondant, » où Lauzun servit lui-même la duchesse de Bourgogne. Des boîtes furent tirées au départ de la Princesse comme à son arrivée. Elle remonta en voiture après avoir remercié le duc et la duchesse de Lauzun de leur galante fête, et arriva à Versailles encore à temps pour le souper du Roi. « Elle parla à Sa Majesté de M. de Lauzun en termes fort obligeans et lui en dit des choses fort avantageuses[1]. » C’était précisément ce que se proposait Lauzun.

  1. Mercure de France, août 1702, p. 241 à 247.