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Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 152.djvu/593

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d’elles-mêmes de tous ses pas, de toutes ses manières et de ses discours les plus communs. Un air simple et naturel toujours, naïf assez souvent, mais assaisonné d’esprit, charmoit avec cette aisance qui étoit en elle, jusqu’à la communiquer à tous ceux qui l’approchoient… Sa gaieté, jeune, vive, active, animoit tout, et sa légèreté de nymphe la portoit partout comme un tourbillon qui remplit plusieurs lieux à la fois et qui y donne le mouvement et la vie[1]. »

Telle nous apparaît, lumineuse encore malgré le lointain du temps, la séduisante figure qu’il faudrait savoir évoquer, tantôt, avec sa légèreté de nymphe, dansant une entrée en ce costume de magicienne, qui lui convenait si bien ; tantôt, avec sa marche de déesse sur les nuées, traversant en grand habit de cour la galerie des Glaces, pour se rendre de son cabinet aux grands appartemens du Roi ; jeune, charmante, traînant, elle aussi, tous les cœurs après elle. Il semble que, par un de ces jeux obscurs où se plaît la nature, elle n’eût rien emprunté à son origine la plus proche, rien à cette rude race savoyarde dont sortait son père, rien à sa mère, peu jolie, humble et effacée, mais qu’elle eût au contraire tout hérité de sa grand’mère, cette charmante Madame, que Bossuet a rendue immortelle, et dont, à l’aube du règne, la mort soudaine avait fait verser tant de larmes, comme sa mort à elle en devait faire verser, à l’heure du déclin. « Elle a un certain air languissant et quand elle parle à quelqu’un, comme elle est toute aimable, on dirait qu’elle demande le cœur, quelqu’indifférente chose qu’elle puisse dire du reste[2]. » C’est ainsi, quelque trente années auparavant, que l’auteur inconnu d’un pamphlet parlait de Madame. De la duchesse de Bourgogne Saint-Simon nous dit, en termes différens, à peu près la même chose. « Elle vouloit plaire aux personnes mêmes les plus inutiles et les plus médiocres sans qu’elle parût le rechercher. On étoit tenté de la croire toute et uniquement à celle avec qui elle se trouvoit. » Mais, en cela aussi semblable à Madame, la duchesse de Bourgogne ne se contentait pas de demander le cœur. Elle donnait facilement le sien, et c’est par-là qu’elle sut se faire adorer, car aimer sera toujours le grand secret d’être aimé. A travers la dissipation et la frivolité de la vie, le cœur était demeuré sensible et tendre. Il s’attachait facilement, et demeurait fidèle à ses

  1. Saint-Simon, édition Chéruel de 1857, t. X, p. 83.
  2. La Vie de Madame, par Mme de La Fayette, avec une introduction de M. Anatole France.