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Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 152.djvu/601

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avant tout, être juste et consacrée par l’opinion. Or, au mois de mars 1859, le sentiment public en France était loin d’approuver un conflit, et l’Autriche, au lieu de repousser les conseils de la diplomatie, semblait les écouter. Il importait donc d’attendre qu’il fût parfaitement démontré qu’on n’avait rien négligé pour conjurer la lutte ; alors, si nous devions tirer l’épée, ce ne serait que contraints et forcés. De là des doutes, des colères à Turin, et des résistances à Paris. Plus M. de Cavour devenait provocant, plus le gouvernement français affirmait ses sentimens pacifiques. Il n’y avait pas, comme on l’a prétendu, un double jeu combiné entre l’Empereur et M. de Cavour, réservant à l’un le rôle de provocateur et à l’autre celui de conciliateur. Si M. de Cavour ne voyait, pour résoudre le problème italien, d’autre dénouement que la guerre, l’Empereur ne désespérait pas d’une solution pacifique, et, en tout cas, il n’entendait pas se départir du privilège stipulé en sa faveur dans le traité de Turin, du mois de janvier. Il voulait épuiser toutes les procédures diplomatiques pour convertir l’opinion et les cabinets européens à la nécessité de satisfaire l’Italie et de la rendre à elle-même. Il était, à ce moment, si peu résolu à provoquer le conflit, qu’il s’adressait même directement et confidentiellement au cabinet autrichien pour l’amener à modifier, de concert avec lui, l’état des choses dans la péninsule. Dans un long mémoire, il traçait un tableau affligeant de la condition de l’Italie et demandait avec instance, dans l’intérêt de la paix et de l’ordre en Europe, que l’Autriche consentît : 1° à une confédération italienne ; 2° à des réformes ; 3° à la dénonciation de ses traités secrets.

Tel était l’état d’esprit de Napoléon III au mois de mars 1859 ; son allié, désespéré, inclinait à se jeter, coûte que coûte, dans une formidable aventure, sans tenir compte ni de l’opinion de la France, ni du mauvais vouloir de l’Europe. L’Autriche était sur le pied de guerre, mais elle avait pris vis-à-vis de l’Angleterre l’engagement de ne pas attaquer la première ; il n’y avait donc pas péril en la demeure. D’autre part, les passions que sa politique avait soulevées en Lombardie rendaient douloureuse la situation du Piémont. Le cabinet de Vienne réclamait à la fois son désarmement et son exclusion du congrès. Comment discuter les réformes sans permettre au Piémont de participer à la discussion, et comment exiger qu’il restât sans défense, si les délibérations ne devaient pas aboutir ? Ces exigences étaient à la fois blessantes