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Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 152.djvu/609

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s’alimentaient à la fois le patriotisme populaire et les ambitions de la maison de Savoie.

Napoléon III n’entendait pas, comme M. de Cavour, jouer le tout pour le tout en bouleversant le monde ; il se préoccupait de l’attitude et des sentimens des puissances. La révolution était une arme qu’il tenait en réserve pour la retourner contre les gouvernemens qui se coaliseraient contre lui. « Si l’Europe entière est contre moi, disait-il, il faut bien que j’aie recours aux seuls alliés qui s’offrent à moi. » Ses ministres renversaient l’argument en répondant : « Si les gouvernemens se rapprochent et cherchent à se liguer contre vous, c’est précisément parce qu’ils savent que, secrètement, vous êtes avec la révolution ; il dépend absolument de votre politique de ne pas les avoir contre vous, en ne les menaçant pas de mettre le feu aux quatre coins de l’Europe. D’ailleurs, ne comptez pas sur la révolution, jamais elle ne pactisera avec vous, si ce n’est avec l’arrière-pensée de vous renverser. »

Le prince Napoléon, autoritaire de tempérament et républicain de conviction, frayait avec les réfugiés politiques de tous pays, dans la même pensée que son cousin, mais avec exagération et ostentation. Il poursuivait, et ne s’en cachait pas, la ruine de l’Autriche rétrograde et cléricale. Il n’était pas seul en France à prêcher sa destruction. « Le tombeau où s’est englouti le Saint-Empire romain réclame l’Autriche, ce vampire attaché aux flancs des nationalités mutilées ! » s’écriait Henri Martin, en termes plus pompeux que judicieux.

Quant au roi Victor-Emmanuel, tout le portait à conspirer : ses instincts, son éducation, et les nécessités de sa situation. Il ne se bornait pas à pactiser avec les états-majors de la révolution ; il descendait jusqu’aux soldats obscurs et mal famés.

M. de Cavour tenait Kossuth pour une force ; il chercha à se l’attacher. Pendant son séjour à Paris, il voulut savoir à quel prix il obtiendrait son concours. M. Bixio lui amena Szarvady, le mandataire de Kossuth. « Quelles sont ses conditions ? demanda M. de Cavour à Szarvady. — Une étroite solidarité entre la cause hongroise et la cause italienne et des garanties écrites.

— J’admets la solidarité, car, tant que l’Autriche ne sera pas définitivement écrasée, l’Italie ne sera pas tranquille. Mais nous ne pouvons vous donner des garanties écrites ; il ne nous est pas possible de signer avec Kossuth un traité, comme avec une puissance existante et reconnue. »