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Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 152.djvu/612

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qu’ils aient trouvé tous deux dans ces mystérieux conciliabules un plaisir d’un genre particulier. Se doutaient-ils que leurs paroles protocolées seraient aussitôt colportées dans tous les carrefours et livrées un jour à l’histoire ?


XX. — LA SOMMATION DE L’AUTRICHE AU PIÉMONT

Trois semaines s’étaient écoulées depuis que la Russie avait réclamé le congrès, et l’on piétinait toujours, sans pouvoir les résoudre, autour des mêmes questions : l’admission ou l’exclusion du Piémont des délibérations ; son désarmement préalable, ou un désarmement général, simultané, immédiat. La diplomatie est féconde en combinaisons ; chaque jour elle en inventait une nouvelle qui, ayant fait le tour des capitales, revenait à son point de départ, amendée ou défigurée par le mauvais vouloir du cabinet de Vienne ou l’opiniâtreté du cabinet de Turin. Napoléon III, soit calcul, soit qu’à ce moment il souhaitât sincèrement la paix, ne marchandait pas les concessions. Il adhérait sans trop se faire prier aux propositions de lord Malmesbury. Marcher d’accord avec l’Angleterre paraissait être son principal souci. La confiance dans le maintien de la paix s’affaiblissait pourtant de plus en plus. On ne croyait plus au succès des expédiens imaginés par les diplomates. On était convaincu que l’Autriche ne paraîtrait pas au congrès, tant que la Sardaigne ne renverrait pas ses contingens et ne licencierait pas ses volontaires. Le désarmement sarde était le point capital ; le comte de Buol, comme l’avait prévu lord Cowley, voyait dans le Piémont l’avant-garde de la France, et, comme gage des dispositions pacifiques de la cour des Tuileries, il exigeait qu’on désarmât à Turin. « En vérité, écrivait le prince Albert, le congrès ne danse pas comme celui de Vienne ; c’est à peine s’il marche. » L’Autriche était réellement dans une situation pénible. On lui demandait de laisser discuter ses droits, de renoncer à ses traités avec les princes italiens, d’introduire des réformes dans ses provinces, d’en imposer à ses alliés, tout cela pour satisfaire l’ambition du Piémont. Chacun lui réclamait quelque concession ; personne ne prenait sérieusement sa défense. Elle avait à subir, l’arme au bras, les provocations de M. de Cavour et, en plus, on voulait, sans souci de sa dignité et de ses légitimes ressentimens, qu’elle siégeât, comme une accusée sur la sellette, en face de son adversaire implacable pour en entendre les