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Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 152.djvu/617

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M. de Cavour était arrivé à ses fins, on a vu avec quelle habileté et quelle persévérante énergie. Devait-il donc l’emporter, parce qu’il était la puissante incarnation d’une grande idée, de l’ambition séculaire d’un peuple ? On serait tenté de le croire en songeant aux maigres ressources dont il disposait pour accomplir son œuvre.

De ce long et laborieux imbroglio diplomatique qui, depuis trois mois, tenait l’Europe en suspens, il ne restait plus qu’un défi de guerre. L’ultimatum avait été remis le 22 avril ; le délai expirait le 29. Le traité du 18 janvier 1858, de défensif, devenait offensif. Le comte de Cavour télégraphia sur l’heure à Paris, et, dans une note officielle adressée au prince de la Tour d’Auvergne, réclama, au nom du Roi[1], l’assistance de cinquante mille hommes pour se prémunir contre une attaque.

L’Angleterre intervint une dernière fois comme médiatrice ; mais il était trop tard ; les décisions suprêmes venaient d’être prises par les ministres et les membres du conseil privé, réunis aux Tuileries sous la présidence du prince Napoléon.

M. de Cavour, de son côté, avait répondu par un refus catégorique aux sommations du comte de Buol, en le rendant responsable de la guerre. « Que la responsabilité, disait-il, pèse sur ceux qui, au lieu de se prêtera un accord pacifique, les premiers ont pris les armes et ont eu recours à des intimidations. » Il avait lu Montesquieu ; il savait que celui qui déclare la guerre n’est pas toujours celui qui l’a provoquée ; et il n’en rejetait pas moins sur l’Autriche l’odieux de la lutte que, depuis son entrée au pouvoir, il n’avait cessé de poursuivre.

Sa réponse expédiée, il écrivit à son ami d’Azeglio, envoyé en mission à Londres. Il trouvait que l’Autriche venait de commettre une insigne folie et bénissait le Ciel de s’être soumis au désarmement. « Il semblerait, disait-il, que la Providence m’ait inspiré. » Dans ses actions de grâces, il oubliait l’Empereur, qui était bien pour quelque chose dans son inspiration providentielle. Si Napoléon III n’avait pas tempéré sa fougue et réparé le mal causé par ses indiscrétions, son audacieuse combinaison eût misérablement avorté. Il reconnaissait du reste qu’on ne s’en tirerait pas sans recevoir quelques horions. « Nous nous préparons avec ardeur à la lutte suprême, écrivait-il ; nous nous attendons à recevoir des

  1. En présence d’une agression imminente, le Roi demande à l’Empereur de lui envoyer 50 000 hommes pour sa sûreté.