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Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 152.djvu/622

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le résultat de leur entretien. Kossuth exposa con amore la corrélation entre l’indépendance hongroise et l’indépendance italienne ; mais, avant de poser ses conditions, il demanda à être initié aux intentions de Sa Majesté. « Son dessein, répondit le Prince, est d’ériger la Hongrie en État indépendant ; il ne fait qu’une réserve, c’est que les Magyars ne proclament pas la république. Vous devez trouver cela naturel du moment que vous voulez faire cause commune avec deux monarques. »

Kossuth répondit qu’avant d’être républicain, il était patriote, et que la forme du gouvernement, à ses yeux, était secondaire. Il insinua toutefois qu’il serait heureux de connaître le candidat de l’Empereur au trône de Hongrie.

— L’Empereur, répliqua le Prince, sans avoir l’air de saisir l’insinuation, n’a aucune vue particulière.

Kossuth parla de la reconnaissance inhérente au caractère hongrois, et, voyant qu’on persistait à faire la sourde oreille, il se résigna en allant droit au but.

— Je ne cacherai pas à Votre Altesse que si la Hongrie devait son indépendance à la protection de l’Empereur, elle n’hésiterait pas à vous offrir la couronne de Saint-Étienne !

Le grand mot était lâché, mais il resta sans écho.

— Qu’il n’en soit plus question, dit brusquement le Prince, et surtout n’en soufflez pas mot à mon cousin. Nous autres Bonaparte nous avons beaucoup appris de notre oncle, et, entre autres choses, qu’il ne fallait pas placer des membres de notre famille sur des trônes étrangers. »

La couronne de Saint-Étienne était aux yeux de Kossuth ce qu’il y avait de plus enviable ; on la repoussait avec humeur ! Tant de désintéressement le surprit.

— Allons au fait, reprit le Prince, et dites-moi nettement ce que vous désirez.

Kossuth, en souvenir de sa vieille et grande popularité, croyait être resté la glorieuse personnification de sa patrie. Comme s’il était encore gouverneur de la Hongrie, ordonnant des levées et disposant des honveds, il parla de sa responsabilité envers son pays, dont il ne pouvait pas à la légère risquer les destinées. Après beaucoup de digressions, il réclama des deux souverains alliés l’engagement de ne pas disjoindre sa cause de celle de l’Italie. Il ne disposait que de son autorité morale, et rien ne disait qu’elle fût encore assez puissante pour entraîner les masses populaires