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Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 152.djvu/633

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regardés avec la même curiosité qui accompagne dans nos capitales des Chinois en déplacement. On sait ce que c’est, on les observe un peu et on passe ; mais, s’il s’agit d’un achat à faire, d’une explication à demander, alors la foule se rassemble, curieuse d’entendre, de voir comment les étrangers s’en tireront. Les gens n’ont pas l’air bon, mais ils semblent indifférens à l’Européen. Il y a là cependant, tout près, des souvenirs de leurs emportemens : cette église catholique, bâtie aux frais de l’Empereur, a été érigée sur l’endroit où furent massacrés en 1870 le personnel du consulat de France et de nombreuses sœurs de Saint-Vincent de Paul. A côté, s’élève une stèle sur laquelle sont gravés des regrets de l’Empereur ;… mais la stèle est largement entourée d’une grille et les Chinois qui passent sont trop loin pour lire l’inscription.

J’ai visité avec intérêt un temple bouddhiste. Il était consacré à la femme ou déesse dont les origines, croit-on, se confondent avec la tradition chrétienne de la mère de Dieu. Les similitudes avec le culte catholique sautent aux yeux : comme dans nos églises, un autel occupe le centre, où brûlent des cierges et des parfums ; tout autour, s’étagent des statues qui représentent des dieux ou des saints, ayant leurs dévots pour implorer la guérison de telle ou telle maladie, et recevant l’hommage d’ex-voto bien peu différens des nôtres. Mais, au point de vue de l’art, ces intérieurs de temples offrent assez peu d’intérêt : quelques statues cependant, en bois et très peintes ou dorées, ne manquent pas d’allure, et je me rappelle un dieu des Enfers qui lançait ses tonnerres avec un véritable entrain.

En quatre heures de chemin de fer on arrive maintenant aux portes de Pékin. La voie traverse une plaine monotone où dorment des ruisseaux d’une eau boueuse. De tous côtés s’élèvent des tombeaux, placés au hasard de la fantaisie : un tertre arrondi en terre glaise, et c’est tout. Cependant ces petits monticules insignifians avaient complètement entravé jusqu’à ce jour l’introduction des voies ferrées en Chine. Il ne fallait pas bousculer les ancêtres et, disséminées comme elles le sont au milieu des champs, les sépultures constituaient un obstacle à peu près infranchissable, gros de révoltes, de colères et de représailles. Mais le préjugé semble aujourd’hui vaincu, la ligne qui relie Pékin à la mer vient enfin d’être terminée ; on a le mieux possible respecté les tombes, et, là où elles gênaient, on a donné soit de l’argent, soit des coups : l’argument a porté. Peu à peu