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Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 152.djvu/647

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guerre qui pourtant fut victorieuse. N’importe, dans cinq ans, ils auront, au point de vue « machines, » la plus belle flotte du monde, et alors, assurent-ils, on « causera » avec les Russes, qu’ils détestent et prétendent battre un jour comme de simples Chinois. Au mois de juillet prochain, le Japon sera tout entier ouvert aux Européens, — car, maintenant, nous ne pénétrons dans l’intérieur qu’avec des passeports ; — en revanche, la juridiction consulaire sera abolie. Les commerçans européens maugréent contre cette innovation et n’attendent rien qui vaille de la justice japonaise. Ils se consoleront sans doute quand, libres désormais d’étendre leurs opérations, ils découvriront, pour les capitaux étrangers, plus d’un rôle important à jouer dans ce pays riche de ressources, mais qui n’a pas d’argent.

J’ai été passer huit jours près de Nikko, à Ciuzenghi, charmant site dans la montagne, au bord d’un grand lac ; c’est là qu’habitent, l’été, la plupart des diplomates. Ils s’installent dans des maisons japonaises aux parois mobiles, aux nattes d’une irréprochable blancheur, mais où nos tables et nos chaises font assez piteuse figure. Nikko est peut-être ce qu’il y a de plus beau au Japon. Ses temples, tout à fait remarquables, comme construction, comme conservation, comme couleurs or et rouge, tranchant sur une verdure d’admirables criptomerias vieux de trois cents ans, en font un point du monde à signaler. Et tout cela est très vivant ; les visiteurs, les pèlerins s’y succèdent en foule ; les prêtres y officient avec pompe ; on peut s’y croire en plein Japon japonisant, avec une couleur locale étonnante.

Mis en goût, j’ai voulu en voir davantage et je suis parti pour le Sud, par un chemin de fer dont le tracé est toujours intéressant, soit qu’il longe la mer au pied du volcan « Fuji, » soit qu’il traverse des rizières, des plantations de thé ou des montagnes. Je me suis arrêté à Nagoya, où un château féodal commande fièrement la plaine, donnant une haute idée de ce qu’étaient les seigneurs d’autrefois. Ville à bibelots, très japonaise encore malgré les fils électriques jetés au-dessus des rues et les amateurs demi-nus qui pédalent sur leurs bicyclettes ; dans mon hôtel, des servantes au minois chiffonné s’agenouillent pour nous servir et nous éventent en riant pendant les repas. Puis, c’est Kioto, ville très antique, très commerçante, avec des magasins de soieries pleins de jolies choses, des étalages d’estampes bien séduisantes, ou d’objets de collection si tentans qu’on voudrait les croire tous