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Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 152.djvu/653

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Ce n’est pas le seul service qu’il nous ait rendu. Il a joint à son édition une introduction, des notes et des appendices qui en augmentent singulièrement l’intérêt et le prix, et en font, d’autre part, le plus précieux instrument de travail. Aucun texte, sauf celui des Mémoires de Saint-Simon, n’a plus besoin d’un commentaire perpétuel que celui des Mémoires d’Outre-Tombe : tant de figures y sont évoquées, tant de portraits dessinés ou simplement esquissés, tant de faits brièvement racontés ou rappelés par de rapides allusions, qu’à chaque instant, en les lisant, on est tenté de réclamer des explications ou des moyens de contrôle. Le commentaire, avant tout historique, de M. Biré nous donne pleine satisfaction à cet égard : il est d’une richesse, d’une précision, d’une exactitude incomparables : peut-être trouvera-t-on que les préférences politiques de l’éditeur s’y étalent parfois avec quelque complaisance ; mais on aimera mieux louer encore le piquant de son esprit, son style alerte et vif, sa conscience d’érudit, de critique et de biographe. On lui saura gré surtout d’avoir, en des appendices très nourris, élucidé bien des points obscurs de la vie de Chateaubriand, réuni bien des documens intéressans, rassemblé enfin quelques-unes des principales pièces de la correspondance si curieuse, et malheureusement encore éparse, du grand écrivain : M. Biré est d’ores et déjà tout désigné pour recueillir, pour publier et pour annoter un jour l’ensemble de cette correspondance, l’une de celles que notre siècle pourra le mieux opposer à celle de Voltaire lui-même.

Enfin, M. Biré a fait de son édition un essai d’édition critique : je dis un essai, et l’on verra bientôt pourquoi. Commencés en 1809[1], au retour du voyage en Orient, les Mémoires d’Outre-Tombe ont été à plusieurs reprises revus, retouchés, remaniés, — et le plus souvent gâtés, — par l’auteur. Nul doute que, si l’on possédait encore soit les manuscrits originaux, soit les copies plus ou moins fragmentaires qui en ont été faites, on ne pût, en reproduisant les variantes ou les corrections successives du texte, nous donner une édition des Mémoires aussi et peut-être plus instructive encore que l’édition des Pensées de Pascal récemment

  1. Toutes les éditions, et celle même de M. Biré, donnent la date de 1811. Mais la date de 1809 est fournie par le « manuscrit de 1820, » dont il sera parlé un peu plus loin, et qui, jusqu’à plus ample informé, m’inspire plus de confiance que celui qui a été livré à Emile de Girardin, et qui a peut-être été mal lu par les typographes de la Presse.