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montons sur ce nuage. Que le vent nous porte dans le ciel. Alors, je veux bien être à toi. Tu te rappelleras mes baisers, mes ardentes étreintes : je serai charmant dans ton souvenir et tu seras bien malheureuse, car certainement je ne t’aimerai plus. Oui : c’est ma nature. Et tu voudrais être peut-être abandonnée par un vieux homme. Oh ! non, jeune grâce, va à ta destinée ; va chercher un amant digue de toi. Je pleure des larmes de fiel de te perdre. Je voudrais dévorer celui qui possédera ce trésor. Mais fuis environnée de mes désirs, de ma jalousie, et laisse-moi me débattre avec l’horreur de mes années et le chaos de ma nature où le ciel et l’enfer, la haine et l’amour, l’indifférence et la passion se mêlent dans une confusion pitoyable.

« Si tu te laissais aller au caprice où tombe quelquefois l’imagination d’une jeune femme, le jour viendrait où le regard d’un jeune homme t’arracherait à ta fatale erreur ; car même les changemens et les dégoûts arrivent entre les amans du même âge. Alors, comment me verrais-tu quand je viendrais à t’apparaître sous ma forme naturelle ? Toi, tu irais te purifier dans des jeunes bras d’avoir été pressée dans les miens ; mais moi, que deviendrais-je ? Tu me promettrais ta vénération, ton amitié, tes respects ; et chacun de ces mots me percerait le cœur. Réduit à cacher ma double défaite, à dévorer des larmes qui feraient rire quiconque les apercevrait dans mes yeux, à renfermer dans mon sein mes plaintes, à mourir de jalousie, je me représenterais tes plaisirs ; je me dirais : A présent, à cette heure où elle me parlait, elle meurt de volupté dans les bras d’un autre ; elle lui redit ces mots tendres qu’elle m’a dits avec cette ardeur de la passion qu’elle n’a pu jamais sentir pour moi. Alors, tous les tourmens de l’enfer entreraient dans mon âme, et je ne pourrais les apaiser que par des crimes.

« Et pourtant, quoi de plus injuste ? Si tu m’avais donné quelques momens de bonheur, me les devais-tu ? De vais-tu me donner toute ta jeunesse ? N’était-il pas tout simple que tu cherchasses les harmonies de ton âge, et ces rapports d’âge et de beauté qui appartiennent à ta nature ? Te devais-je autre chose que la plus vive reconnaissance pour t’être un moment arrêtée auprès du vieux voyageur ? Tout cela est juste et vrai ; mais ne compte pas sur ma vertu : si tu étais à moi, pour te quitter, il me faudrait ta mort ou la mienne. Je te pardonnerais ton bonheur avec un ange ; avec un homme, jamais !