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Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 152.djvu/664

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pauvre nature humaine. » — Il faut avouer qu’au début des Confessions, Jean-Jacques Rousseau parle d’un autre ton et d’un autre style ; mais, pour ma part, j’aime autant le style, et je préfère le ton de Chateaubriand.

Ainsi donc, les Mémoires d’Outre-Tombe ne seront pas des Confessions à proprement parler. Point de ces aveux cyniques qui déshonorent celles de Rousseau et qui nous font malgré nous songer à Casanova ou à Restif de la Bretonne. Singulier moraliste que celui qui se complaît ainsi au spectacle de ses pires défaillances, et qui prostitue son talent, son génie même à en perpétuer le honteux souvenir ! Quand bien même on aurait de moindres faiblesses à se reprocher, il faut, par respect pour le lecteur et pour soi-même, les « laisser derrière le voile. » Assez d’autres, critiques ou chroniqueurs, viendront fouiller dans notre vie privée, et, sous prétexte de « probité scientifique, » se feront une joie maligne d’en étaler aux yeux du public les intimes contradictions et les secrètes « gerçures. » Ne leur en donnons pas nous-même l’exemple : ne privons pas d’un peu de « copie » le futur historien de Chateaubriand et son groupe littéraire, ou l’indiscret auteur des Enchantemens de Prudence. Que si, d’aventure, un fait de la vie réelle nous a suggéré quelques imaginations malsaines, quelques pages d’une inspiration équivoque, nous nous garderons bien de les imprimer. Qui sait ? peut-être est-ce déjà trop d’avoir écrit et publié René ? Savons-nous toujours quel effet produisent nos livres ? Et s’ils éveillent çà et là des pensées morbides, n’en sommes-nous pas un peu responsables ? « Une vie, a-t-on dit bien fortement, est une profession de foi ; elle exerce une propagande irréparable et silencieuse ; elle tend à transformer, autant qu’il dépend d’elle, l’univers et l’humanité à son image. » Et s’il en est ainsi, ceux-là seuls pourront reprocher à Chateaubriand de n’avoir pas tout dit sur lui-même, qui reprocheraient à Bossuet de n’avoir pas, dans la chaire chrétienne, raconté les désordres passés de la princesse Palatine.

Mais, dira-t-on, Bossuet, lui, avait été mis dans l’obligation de composer ses oraisons funèbres, et l’on sait de reste combien il aimait peu ce genre, où l’on « marche parmi des écueils, » et où la sincérité est parfois mise à une si rude épreuve : au contraire, rien ni personne ne forçait Chateaubriand à écrire ses Mémoires et à déguiser la vérité sous de pieux « gémissemens. » — Chateaubriand avait sans doute prévu l’objection : car dans une