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Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 152.djvu/678

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Chateaubriand : « Un Tertullien, ajoutait-il, égayant son Apologétique par Atala et René leur inspirait peu de confiance. » L’ironie n’est-elle pas admirable sous la plume d’un homme qui a cru devoir « égayer » par l’Abbesse de Jouarre ces œuvres qu’il croyait graves, les Origines du Christianisme et l’Histoire du peuple d’Israël ? Aujourd’hui encore, où Chateaubriand a retrouvé tant d’admirateurs, combien de gens ne sauraient prendre au sérieux son christianisme et ses multiples professions de foi religieuse ! Le mot célèbre, si touchant dans sa simplicité : « J’ai pleuré et j’ai cru, » a même rencontré des sceptiques et provoqué des sourires. C’est pourtant fort mal poser la question, et c’est bien peu connaître Chateaubriand que de suspecter sa sincérité en cette affaire. Il était trop fier, ou, si l’on préfère, trop orgueilleux, pour se mentir à lui-même et aux autres. Soyons assurés que, si sa foi religieuse n’avait pas été plus solide que sa foi monarchique, il nous l’eût avoué avec la même désinvolture. Quand il nous dit : « Je ne crois à rien, sauf en religion, » libre à nous d’en être surpris, déconcertés, scandalisés même ; mais c’est pourtant la pure vérité. Assurément, la foi de Chateaubriand n’a pas eu la sérénité de celle d’un Bossuet, ou même d’un Pascal[1] ; elle a eu ses retours, ses vicissitudes et ses orages ; mais la franchise même des aveux qu’il nous fait à cet égard, particulièrement dans les Mémoires, nous est un très sûr garant de la parfaite sincérité de ses croyances. « Quand les premières semences de la religion germèrent dans mon âme, je m’épanouissais comme une

  1. La foi de Chateaubriand ressemble même si peu à celle de Pascal, que René n’a jamais pu s’empêcher de voir l’auteur des Pensées à travers lui-même, et que nul n’a plus contribué à répandre la légende du Pascal romantique, assiégé et tourmenté par le doute, dont Cousin et Sainte-Beuve ont popularisé l’image. Nous en avons la preuve dans une conversation de Chateaubriand que nous a rapportée Sainte-Beuve (Portraits contemporains, t. V, p. 214). Voici « ces paroles énergiques, impatientes, puissamment familières, » et qui, bien plutôt qu’un jugement sur Pascal, sont une véritable confession religieuse de René : « Eh ! pourquoi, s’écriait celui-ci, ne pas prendre Pascal comme il nous est donné, avec son scepticisme ? Il s’est fait chrétien en enrageant, il est mort à la peine. Je l’aime ainsi : je l’aime tombant à genoux, se cachant les yeux à deux mains et criant : Je crois, presque au même moment où il lâche d’autres paroles qui feraient craindre le contraire. Lutte du cœur et de l’intelligence ! Son cœur parlait plus haut et faisait taire l’autre. La fin du XVIe siècle lui avait légué ce scepticisme qui circulait alors partout, lui avait mis ce ver au cœur ; il en a triomphé tout en en mourant. C’est là sa physionomie, c’est ainsi qu’il a sa vraie grandeur. Quelle manie de la lui ôter !… » Et Sainte-Beuve a beau un peu protester, avec raison, contre ce Pascal « d’après Werther et René : » il s’est lui-même, dans son Port-Royal, trop bien souvenu de « ces paroles si vives, si poignantes. »