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Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 152.djvu/703

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combats ; étant douée d’une forte dose d’humour britannique, elle voit le côté comique des tragédies, et personne ne raconte ses mésaventures avec plus de gaieté. Que si vous lui demandez quel attrait si puissant a pour elle le pays de la fièvre et des insectes, elle vous répondra que les rivières équatoriales sont un admirable endroit pour pêcher et qu’elle est passionnée pour la pêcher ; que c’est de tous les sports le plus agréable et le plus bienfaisant, le seul qui vous permette de jouir vraiment de vous-même ; que si vous avez le tempérament d’un vrai pêcheur, eussiez-vous passé toute une journée à ne rien prendre, vous rentrez chez vous content de votre sort, sans avoir dans le cœur aucun mauvais sentiment à l’égard des poissons que vous n’avez pas pris.

Mais elle a beau dire, les hommes l’intéressent encore plus que les poissons, surtout quand ils ont la peau noire, les lèvres saillantes, la barbe rare et les cheveux laineux. Évolutionniste convaincue, elle aime à étudier notre espèce dans ses commencemens, et elle a décidé depuis longtemps que l’endroit du monde le plus favorable à l’étude des croyances et des lois primitives est la côte africaine qui s’étend du sud de la Gambie au nord de la rivière du Cameroun, que c’est là qu’on trouve les vrais nègres, purs de tout mélange avec les Maures musulmans, avec les races berbères et avec les Bantous. Elle n’a pas perdu son temps chez eux ; elle a le don de l’observation et ce sens critique qui se défie des partis pris, des préventions irraisonnées. Elle ne se contente pas d’observer, elle argumente et conclut. Un journaliste américain l’a accusée de jurer quelquefois comme un troupier. C’est une calomnie. Elle a l’humeur vive, la tête chaude, des indignations, des colères, et elle aime la polémique ; mais fiez-vous à sa sincérité ; si chères que lui soient ses idées, elle ne cherchera jamais à surprendre votre bonne foi, elle n’affirme que lorsqu’elle est sûre de son fait. Elle vous dira comme le vieil Hérodote : « Voilà ce que j’ai vu, voilà ce qu’on m’a dit ; voilà ce que je crois, voilà ce que je sais. » Elle avait publié un gros volume sur l’Afrique occidentale, auquel une revue anglaise a rendu le témoignage que c’était un des livres les plus instructifs et les plus amusans qu’ait inspirés le continent noir. Elle vient d’en publier un second, intitulé : Études africaines, qui m’a charmé et persuadé[1]. Mlle Kingsley n’a pas besoin de jurer comme un troupier pour que nous soyons tentés de l’en croire.

Elle a lié un commerce si intime avec l’âme africaine qu’elle en connaît tous les secrets, les tours et les détours. Je ne crois pas que

  1. West african Studies, with illustrations and maps. London, 1899.