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Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 152.djvu/781

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d’une doctrine que l’on croit vraie sans sentir le besoin d’anéantir celle que l’on croit fausse. Il y a des opinions qui ont accompli leur œuvre, et avec lesquelles il est temps d’en finir. Les erreurs gênent les vérités et les empêchent de se rapprocher, de se condenser, de se synthétiser. Si Dieu a livré le monde aux controverses, dit l’Écriture, c’est qu’il a voulu faire avancer l’humanité par le moyen même de ces controverses. » Rien de plus vrai. Pierre Leroux pourrait même ajouter que c’est par le sentiment de ce qui manque à une doctrine que l’on est sollicité à trouver quelque chose de mieux. C’est la critique de Locke qui a poussé Leibniz à s’élever au-dessus des idées innées de Descartes et à lui substituer ses virtualités innées. C’est la critique de Condillac qui a sollicité Maine de Biran à trouver dans le moi une force active au lieu d’un produit de sensations. Il faut donc savoir gré même aux doctrines que l’on croit fausses ; sans elles, on n’aurait peut-être jamais pensé. Mais il est très légitime de ne pas s’y arrêter, et de pousser en avant, si on le peut. Pierre Leroux est donc dans son droit en essayant de réfuter l’éclectisme. Voyons maintenant les points essentiels de cette réfutation.

Ce que Pierre Leroux reproche surtout à la philosophie de Victor Cousin, c’est d’être un véritable pyrrhonisme, et il lui applique ces mots de Bacon : « Il retire à notre âme toutes ses forces, et la vraie philosophie lui en rend l’usage. » Ainsi, l’éclectisme, selon Pierre Leroux, avait le tort d’empêcher tout sentiment religieux, social et patriotique. Il jette les âmes « dans la démoralisation et la corruption. » On voit que cette critique de l’éclectisme part d’un point de vue tout différent de celui qu’on a préconisé plus tard. La philosophie de Cousin, loin d’être traitée comme un pyrrhonisme et un scepticisme, fut accusée au contraire d’être devenue un dogmatisme, orthodoxe et mort, qui, bien loin de sacrifier la morale à la métaphysique, comme le disait Pierre Leroux, sacrifiait au contraire la métaphysique à la morale, et, au lieu de proscrire le sentiment et l’émotion, comme le disait encore Pierre Leroux : « Eh quoi ! n’avez-vous rien sous la mamelle gauche ? » mettait au contraire le sentiment à la place de la raison. Toutes ces critiques contradictoires ont leur raison d’être. Mais il faut distinguer les époques. L’éclectisme, en effet, de la première période, en disant que tous les systèmes ont du bon, que toutes les philosophies peuvent avoir raison d’un certain côté, semblait avoir une apparence de scepticisme. C’est aussi ce qu’on