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Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 152.djvu/791

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Pour en finir avec la réfutation et préparer la doctrine, essayons de résumer l’esprit de la doctrine de Pierre Leroux en opposition à celle de M. Cousin. Pour l’un, la philosophie est une œuvre de sentiment et de cœur ; pour l’autre, elle est une science. Pour l’un, elle est une synthèse ; pour l’autre, une analyse. Selon Pierre Leroux, la philosophie vit pour et par l’humanité ; selon Cousin, elle est une pensée abstraite, une théorie de la connaissance. La philosophie de Pierre Leroux a été inspirée par le saint-simonisme, qui était une religion, la religion de la perfectibilité indéfinie. M. Cousin est parti du XVIIIe siècle, de Condillac, et c’est de là qu’il a tiré sa philosophie, en essayant de remonter à des sources plus hautes et plus nobles : l’alexandrinisme, le platonisme, la philosophie allemande et plus tard le cartésianisme. Pierre Leroux rattache aussi sa propre philosophie à celle du XVIIIe siècle, non à la philosophie étroite de Condillac, mais à la philosophie plus vivante et plus généreuse de Rousseau, de Diderot, de Turgot et de Condorcet.

A l’époque où Pierre Leroux s’efforçait de présenter avec Jean Reynaud (non encore tout à fait émancipé) une philosophie nouvelle, un critique éclairé, un des esprits les plus pénétrans de ce temps-là, M. Louis Peisse, essayait de caractériser cette philosophie nouvelle, encore vague et flottante : « De cette école qui finit, disait-il (l’école théologique), passons à une philosophie qui veut commencer[1]. Il s’agit ici d’une catégorie assez mêlée d’écrivains qui annoncent une philosophie du progrès et qui font beaucoup d’efforts pour lui donner une constitution régulière. Jusqu’ici, les ouvrages partis de cette école naissante ne peuvent, quoique assez nombreux, nous donner une idée assez claire et assez exacte du but, de la méthode et des principes de la doctrine pour qu’on ne soit pas exposé à la mal comprendre, et par conséquent à la mal juger. Cette école est en général excessivement sévère à l’égard des autres doctrines philosophiques contemporaines, elle les traite avec une supériorité, une autorité et un dédain qui donnent certainement grande envie de connaître le système destiné à les remplacer. Mais cette curiosité n’est pas très facile à satisfaire, et, après avoir lu ces livres, il est plus facile de porter un jugement sur les auteurs que sur la doctrine. Cette doctrine parait être évidemment un rameau détaché du saint-simonisme. Son

  1. Fragmens de philosophie de M. W. Hamilton, avec une préface de Louis Peisse, 1840.