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Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 152.djvu/828

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indispensable de tout un monde nouveau : l’âme des machines, la force que prophétisait Aristote quand il disait : « Si la navette et le ciseau pouvaient marcher seuls, l’esclavage ne serait plus nécessaire. »

Pour le chauffage seulement, comment feraient les civilisés de nos jours, s’ils n’avaient su deviner ou retrouver, dans le sous-sol de la planète actuelle, la carte de la planète préhistorique ? Ce qui leur permet de remonter chaque douze mois à la lumière une pyramide noire, quatre cents fois plus haute et plus large que la plus grande des pyramides d’Egypte : 500 millions de tonnes. Le colossal sépulcre de pierre, depuis soixante-dix siècles intact au bord du Nil, est un monument de mort ; le géant de charbon de l’Europe, monument de vie, donne en se consumant la force et la chaleur. Tous les ans il renaît, surgit à nouveau pour recommencer son œuvre et s’évanouir, en dessinant autour de lui, dans l’atmosphère bleue, l’auréole grisâtre de sa fumée. Les anciens en eussent fait un mythe, un dieu, le symbole de la résurrection des choses, de l’alliance entre la matière déchue et l’esprit rénovateur.

Combien de temps doit-elle durer ? D’après un travail fait à Berlin, par les soins du ministère du Commerce, les réserves des mines de houille s’élèveraient, pour le vieux continent, à 360 milliards de tonnes ; soit, d’après la consommation actuelle, de quoi marcher un millier d’années. L’exploitation active est, à vrai dire, toute récente ; bien que, depuis 700 ans déjà, la houille soit connue et porte un nom : celui qu’elle emprunta au forgeron flamand « Hullioz, » de Liège, qui le premier trouva, vers Publémont (1197), cette matière dont il eut l’idée de se servir pour faire du feu. Le midi de l’Europe continua longtemps à en ignorer l’existence et l’emploi. Un cardinal italien, en visite au moyen âge chez un évêque des Pays-Bas, témoignait son étonnement de voir, dans la cour du palais, une distribution d’aumônes qu’il ne pouvait comprendre : « On donne, dit-il, à chaque pauvre sa charge d’une pierre noire et il s’en va plus joyeux, plus satisfait, que si on lui eût donné un pain du même poids. »

Cette substance était si peu connue en France au début du XVIIe siècle, qu’un de nos compatriotes mentionnait, dans un voyage en Écosse, l’extraction de la même « pierre noire » à titre de curiosité. A la fin du règne de Louis XIII, lors de la première concession sérieuse dont le « charbon de pierre » ait été