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que paie à Jérusalem la piété de l’univers. Il était inévitable et juste que chaque culte aidât ses populations pauvres à vivre là où leur présence était un acte de dévotion et une mesure de sûreté. Ainsi ont commencé l’usage, puis l’excès : chaque religion non seulement instruit et soigne, mais loge, emploie, fournit d’alimens la colonie mi-pieuse et mi-mendiante qui l’entoure de foi, de misère et de paresse.

Lorsque les sectes protestantes pénétrèrent à leur tour en Palestine, il leur fallait, pour compter à Jérusalem parmi les religions, acquérir des adhérens parmi les indigènes. Puisque l’argent était un moyen de prosélytisme, elles possédaient de quoi se faire vite des amis. Et, tandis que les vieux cultes étaient obligés de répartir leurs largesses sur de vastes communautés, les protestans arrivaient, forts de leur nouveauté même, et libres de concentrer sur un petit nombre de catéchumènes leur propagande. Ils se trouvèrent induits par l’exemple en un abus qu’ils allaient augmenter. Leurs ressources les poussaient aux surenchères. A qui cherchait dans le protestantisme le royaume de Dieu et sa justice, ils ont offert le reste par surcroît. Aujourd’hui, ils ont dans leurs écoles 4 000 élèves, et dans leurs chapelles 2 000 communians. C’est peu, si l’on songe au temps et aux sommes dépensées : c’est beaucoup, si l’on songe que le protestantisme est dans l’Orient un culte sans traditions, et qu’il a su tirer de rien quelque chose.

La conversion des Asiatiques n’emploie pas à Jérusalem tout le zèle des Sociétés Evangéliques. Nombre de protestans européens sont retenus là par le désir d’y perpétuer leur hommage et de s’y consumer, flambeaux vivans. Mais l’huile même de ces lampes mystiques brûle avec des lueurs d’incendie. Quand les protestans ont cherché leur place de prière, les saints lieux étaient depuis longtemps partagés entre les catholiques, les orthodoxes et les arméniens. Ces églises privilégiées n’avaient d’ailleurs pas éteint leurs jalousies dans la co-possession des sanctuaires. D’accord pour reconnaître l’authenticité de ceux qu’elles se partageaient, elles vénéraient, chacune en d’autres lieux qu’elle possédait seule, le théâtre d’autres scènes évangéliques, et chacune contestait la prétention des cultes rivaux à posséder eux aussi, eux seuls, les lieux témoins des mêmes faits. L’exemple fournit aux protestans une arme dont ils allaient se servir mieux que personne. Derniers venus, ils s’étaient contentés de ce qu’avaient dédaigné les premiers occupans. Mais la place où il fallait