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Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 152.djvu/9

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LES MORTS QUI PARLENT

TROISIÈME PARTIE[1]

IX. — ROSE ESTHER

Les deux anciens camarades s’acheminaient vers la rue Fortuny. Leur dîner avait été gai, généreusement arrosé de vin vieux, réjoui par les souvenirs communs qui remontent entre deux hommes en pleine force, à cette heure de la vie où le passé nous porte déjà et ne nous écrase pas encore. Jacques devinait pourtant dans la gaîté de son ami quelque chose de forcé, quelque irritation secrète qui fouettait la verve d’Elzéar. Le tribun avait fait des allusions à son roman avec la princesse ; ces demi-confidences laissaient entrevoir des affaires plus avancées que ne l’étaient en réalité les siennes. Andarran savait qu’il en fallait rabattre ; elle lui était connue de longue date, cette manie d’étaler qui entrait pour moitié dans toutes les jouissances de Bayonne.

— C’est un orateur, pensait Jacques, il parle son plaisir et sa peine. Aime-t-il vraiment sa belle étrangère ? Il la désire violemment, comme il désire tout : mais que désire-t-il d’elle ? Sa personne seulement ? Ou son éclat, son titre, son luxe, sa fortune ?

— Lui qui avait au plus haut degré la pudeur de ses sentimens intimes, il concevait mal cette sorte d’amour que l’aveu public n’épouvante pas. Elzéar éprouvait au contraire le besoin de tromper sa déconvenue avec des paroles. Gâté par les triomphes rapides et faciles, il était irrité contre Daria, contre lui-même ;

  1. Voyez la Revue du 1er et du 15 février.