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Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 152.djvu/929

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tout ce qu’on peut se dire, rien qu’avec de l’esprit. Pas un mot n’indique ni que le cœur ait été touché, ni que les sens aient été troublés. C’est la froideur même. Réplique, gestes, sanglots, tombent subitement gelés dans une atmosphère de glace.

A la vérité, tous ces élémens se trouvaient dans le roman ; mais ils y étaient autrement présentés, et dans d’autres proportions. La liaison de Thérèse et de Dechartre sert bien d’armature au livre ; les détails n’en sont pas moins ennuyeux et y sont peut-être plus déplaisans, car il n’est rien qui rebute le lecteur plus que l’expression étudiée de la passion sans amour et la recherche de la sensualité. Mais on se rend compte que ces variations sur l’adultère mondain ne sont là que parce qu’il faut se conformer aux usages ; et on plaint l’auteur de la tâche que lui ont imposée les convenances du roman contemporain. Le bavardage de miss Bell y est pareillement puéril ; mais l’auteur le fait passer à la faveur de son ironie mêlée de pitié. Choulette s’y étale incongrûment avec ses yeux farouches, ses oreilles de satyre, ses paradoxes obscurs et ses gestes incohérens ; mais on sait gré à M. France de tous les efforts qu’il a faits pour rendre ce drôle intéressant, et d’avoir mis à contribution la mythologie, l’hagiographie et l’histoire pour prêter quelque originalité à la physionomie de cet alcoolique. Surtout on s’attache peu aux personnages et aux événemens. On a bien assez de suivre à travers ses détours la fantaisie capricieuse de M. France, et de subir sans réfléchir la griserie qui vient de ces propos sans consistance, épars dans l’air sonore de la cité florentine.


M. Anatole France n’est, au théâtre, qu’un romancier en rupture de roman, un philosophe qui fait l’école buissonnière. Revenons aux professionnels. Dans leurs ouvrages nouveaux, M. Henri Lavedan, M. Jean Richepin, M. François de Curel, se retrouvent semblables à eux-mêmes ; ils n’y sont que trop semblables, et ce dont nous nous plaignons, c’est qu’ils exagèrent la ressemblance. Ils se complaisent dans leurs défauts, ils en font l’essentiel de leur manière. L’auteur du Prince d’Aurec, de la Haute, des Petites fêtes, s’était institué naguère le peintre ordinaire du monde qui fait la fête, et l’historiographe de la partie corrompue, superficielle et brillante de notre société. Il y apportait de remarquables dons d’observation aiguë, de raillerie à l’emporte-pièce. Il était satirique avec amertume, moraliste avec une drôlerie qui cingle. On le suppliait de ne pas limiter son regard à un horizon si étroit. On l’avertissait sans malveillance qu’il y a dans la vie d’autres gens que les viveurs et singulièrement plus intéressans