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Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 152.djvu/940

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Voici d’abord le Page de Gustave-Adolphe[1]. Un riche marchand de Nuremberg, Leubelfing, reçoit un jour une lettre de Gustave-Adolphe, qui lui apprend qu’il fait à son fils Auguste l’honneur de l’attacher à sa personne en qualité de page. Mais Auguste Leubelfing est lâche, il s’épouvante d’un honneur aussi dangereux ; et c’est sa cousine, une belle jeune fille insouciante et hardie, qui consent à aller le remplacer auprès du roi de Suède. Celui-ci, très myope, ne s’aperçoit pas que son page est une jeune fille : il le traite avec une familiarité touchante, lui confie ses projets et ses espérances ; et Gustel, peu à peu, s’éprend de son maître.

Un soir, Gustave-Adolphe reçoit l’avis qu’un des chefs de son armée, Lauenbourg, marié à une de ses parentes, a abandonné sa femme et entretient publiquement, au camp, une belle esclave croate volée à sa famille. Le roi, indigné, ordonne que l’esclave lui soit amenée : et c’est le page Gustel qui se trouve chargé de la recevoir. La Croate, aussitôt, reconnaît une femme sous le costume du page. Elle refuse pourtant de la dénoncer, à la condition que Gustel fasse célébrer des messes pour le repos de son âme : car elle est résolue à se tuer plutôt que d’être séparée de Lauenbourg, et en effet elle se tue, sous les yeux du roi.

Celui-ci mande alors devant lui Lauenbourg, « incarnation du vice éhonté et sans scrupules. » Il l’accable de reproches, l’insulte, et commande à son grand prévôt de lui mettre la main sur l’épaule, en signe d’infamie. Et Gustel, qui assiste à la scène, s’aperçoit avec surprise que le duc de Lauenbourg lui ressemble d’une façon à peine croyable, qu’il a la même taille qu’elle, le même visage, la même voix.

Quelques heures plus tard, un envoyé de Wallenstein arrive au camp suédois, porteur d’un message pour Gustave-Adolphe. Rencontrant Gustel, dans l’antichambre du roi, il l’examine longuement, et la prie d’essayer un gant qu’il a, dit-il, trouvé en chemin : le gant sied tout à fait à la main du jeune page.

« — Il est à vous ? » lui demande l’envoyé, d’un air énigmatique.

« — Non, capitaine. Je n’ai pas coutume de porter des gants d’une peau aussi fine ! »

Cet envoyé n’est autre que Wallenstein lui-même. Mis en présence du roi, il lui dit qu’il vient l’avertir d’un attentat projeté contre lui. « Un des vôtres me fut annoncé, tout à l’heure ; et, comme j’étais en

  1. Le Page de Gustave-Adolphe et deux autres récits de C. -F. Meyer ont été traduits en français par Mme H. S., avec une très intéressante préface de M. G. Valette (Genève, librairie II. Robert, 1898).