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Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 152.djvu/955

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à se prolonger. Mais il a évité toute imprudence de ce genre, et on ne saurait lui reprocher aucune initiative dans un sens quelconque. Quand on lui demandera plus tard ce qu’il a fait, il pourra répondre comme Sieyès : J’ai vécu.

Nous avons dit que l’affaire Dreyfus durerait peut-être plus qu’on ne l’imagine. Il y a quelques jours, l’espoir qu’elle prendrait fin au commencement de mai ne paraissait pas trop chimérique, et le pays se reprenait à respirer dans l’attente d’une délivrance prochaine. La Cour de cassation poursuivait ses travaux dans un silence relatif : on pouvait croire que déjà les passions désarmaient, ou qu’elles s’apprêtaient à le faire. Ces perspectives rassérénantes se sont subitement obscurcies, et, une fois de plus, les questions qu’on avait eu tant de peine à ra mener sur le terrain purement judiciaire ont été jetées en pâture à la curiosité publique, livrées à toutes les conversations, à toutes les discussions, à toutes les controverses. Un journal du matin s’est procuré le dossier de l’enquête faite par la Chambre criminelle et aujourd’hui soumise à la Cour de cassation. Pendant que le rapporteur désigné par la Cour étudiait ces volumineux documens, pesait la valeur de chacun d’eux, les comparait, les contrôlait les uns par les autres, et se préparait à la rédaction de son travail, une infidélité, dont la source n’a pas encore été découverte, et ne le sera peut-être jamais, permettait au Figaro de commencer la publication des pièces les plus secrètes, et de les détailler à ses lecteurs une à une et jour par jour. Le dossier avait été imprimé et distribué à quelques personnes, mais l’impression d’abord et la distribution ensuite avaient été l’objet des mesures de prudence les plus strictes. Par malheur, au temps où nous sommes, les secrets les mieux gardés n’en tombent pas moins, au bout de quelques jours, dans le domaine public ; il en a été de celui-ci comme de tant d’autres. On a ouvert une enquête sur l’origine de l’indiscrétion ; elle n’a produit aucun résultat. On a poursuivi le Figaro en police correctionnelle ; il a été condamné à une peine si légère qu’elle a seulement constaté l’impuissance de la loi. Il est démontré aujourd’hui qu’un journal ne court aucun risque sérieux à publier le dossier d’une enquête, c’est-à-dire à violer un secret où le Code d’instruction criminelle a cru voir une précieuse et même indispensable garantie.

Est-il vrai, ainsi qu’on l’a prétendu, que les auteurs du procès Dreyfus aient pris certaines libertés avec le Code, et par exemple, qu’ils aient communiqué aux juges, en chambre du conseil, des pièces qui seraient restées inconnues à l’accusé et à son défenseur ? S’ils l’ont fait, et nous l’ignorons, assurément ils ont eu tort ; mais d’où vient que