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Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 155.djvu/143

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Carlos. Il fallait couper court à cette anarchie prétorienne. Ce fut le premier soin de Castelar. Il se hâta de rétablir le code militaire, et, avec lui, la peine de mort. En même temps, il confiait les commandemens à des généraux capables de se faire obéir. L’effervescence tomba peu à peu ; les soldats rentrèrent dans le devoir.

On rapporte que, vers le même temps, Moriones télégraphiait au ministre de la Guerre : « Je n’ai ni soldats ni argent ; mais tout ce qui peut se faire avec rien, je le ferai... » Ce mot peint au vif les cruels embarras où le Président, jour et nuit, se débattait. Lui aussi, dans son prodigieux labeur, il fit alors « tout ce qui peut se faire avec rien. » L’armée, dans le Nord, manquait de soldats. Il appela les réserves, et fit sortir de terre plus de cent mille hommes. Mais, ces nouvelles recrues, comment les équiper ? Les magasins de l’Etat étaient vides, le matériel de guerre épuisé, et le Trésor à sec. Dans ces conjonctures, je ne sais trop vraiment où il trouva les ressources. Mais il les trouva, et réussit à mettre en ligne les nouveaux contingens : il les arma, leur donna des canons et, ce qui valait mieux encore, rendit aux canonniers leurs anciens chefs, en reconstituant le corps des officiers d’artillerie. Depuis l’affaire Hidalgo, cette belle artillerie, l’orgueil de l’armée espagnole, tombait en ruines, comme le reste. Les officiers démissionnaires avaient bien été remplacés par les sergens ; malheureusement ces honnêtes subalternes, moins habitués à commander qu’à obéir, n’avaient ni la science ni le prestige qui imposent le respect au soldat, et bon nombre, comme à Cadix, trouvaient plus simple de passer avec les canons et les camarades dans le parti de l’émeute. Castelar comprit qu’il devait réorganiser cette arme à tout prix ; les réformes égalitaires viendraient ensuite, quand on n’aurait plus Carthagène et les carlistes à combattre. Il se priva, en conséquence, des services du malencontreux Hidalgo, d’où venait le mal, et replaça les cadets de Ségovie à la tête de leurs batteries, qu’ils n’auraient jamais dû quitter. Ce fut un grand bienfait ; les officiers rétablis contribuèrent fortement à restaurer la discipline, et non seulement dans leurs propres régimens, mais dans toute l’armée. Cette courageuse mesure, dont tout l’honneur lui revient, est une des plus significatives qui aient marqué sa présidence. Nulle autre n’indique mieux le caractère réparateur et vraiment national de la politique qu’il s’efforçait de réaliser parmi tant d’obstacles et de périls.