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Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 155.djvu/165

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célèbre : « Notre république sera la formule de cette génération, si vous réussissez à la faire conservatrice, » de même je vous dis maintenant à vous autres. « Votre monarchie sera la formule de cette génération, si vous réussissez à la faire démocratique. » Le fait est qu’il sentait sa carrière politique se fermer d’elle-même. Le loyal adversaire ne pouvait plus combattre la Régence. Mais, d’autre part, pouvait-il la servir ?


Ah ! Messieurs, j’achèverai ma vie par où j’ai commencé. Quand jetais jeune, j’enseignais, dans la chaire, à aimer la patrie à des hommes tels que M. Moret, M. Gamazo, M. le duc de Veragua, M. le marquis de Sardoal. Qu’ils se lèvent et qu’ils disent si notre Espagne ne nous était pas comme une divinité à laquelle nous rendions un culte ! Mais cet enseignement par la chaire, je dois y renoncer ; car l’art de la parole est un art de jeunes gens, non de vieillards ; il exige des forces que j’ai bien encore, mais n’aurai plus longtemps. Je me consacrerai à écrire notre histoire nationale, si vous donnez la liberté et la démocratie ; et, à mesure que mon sang coulera plus lentement dans mes veines, que l’ardeur de ma voix s’éteindra, peut-être, dans ce commerce avec les héros qui ont fait notre sol de leurs ossemens, avec les martyrs dont les sacrifices nous ont donné l’espace où nous respirons, avec les penseurs, avec les poètes qui ont mis autant d’idées dans notre ciel que Dieu lui-même y a mis d’étoiles et de lumière, peut-être retrouverai-je un regain de jeunesse, et aurai-je le temps de célébrer l’épopée immortelle de notre Espagne, de montrer comment, vaincue d’abord à Guadelete et à Covadonga, elle est descendue jusqu’aux rivages ensoleillés de ces mers : émeraudes de ses sandales et diamans de sa couronne ; enfin je retracerai les épreuves qu’elle a subies pour passer d’un absolutisme asiatique à la liberté. Après quoi, l’envie et les rancunes s’étant apaisées, la génération nouvelle me donnera une sépulture honorée et bénie ; elle y déposera mes restes, en sorte que mes lèvres glacées puissent encore dans la tombe presser le sol de la patrie, qui couvrira ma petitesse de sa grandeur et mon néant de son immortalité !


Mais de quitter la politique est une entreprise malaisée à qui a fait de la politique sa première raison de vivre. Et c’est pourquoi cinq années encore passèrent dans une demi-retraite. Il n’avait point abandonné tout à fait la scène ; il s’était seulement reculé dans l’ombre, au second plan. Enfin, dans l’été de 1893, vers la fin de la session, il annonça qu’il se retirait du Parlement. Quelques mois après, il publiait sa résolution dans un manifeste (avril 1894). Ce manifeste, malgré les apparences, et malgré les fausses interprétations, n’était point un acte d’adhésion à la monarchie. Mais si Castelar déclarait sa résolution de demeurer en dehors du cadre monarchique, il disait à ses lieutenans, à ses fidèles : Allez, et servez la Régence. Ce que firent plusieurs, pour