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une république par les républicains seuls et pour eux seulement : la République, comme le soleil, doit luire pour tous les Espagnols. »

Ces paroles sont les dernières qu’il devait faire entendre à son parti et à l’Espagne. Quinze jours après, il quittait Madrid pour aller passer quelque temps près de Murcie, à San Pedro del Pinatar, dans un paysage séduisant, non loin de cette mer bleue qu’il avait jadis contemplée tant de fois de ses yeux d’enfant et célébrée plus tard dans des pages d’une si pénétrante poésie !

Les amis qui prirent congé de lui crurent remarquer qu’il leur disait adieu avec une émotion inaccoutumée. Arrivé au terme de son voyage, on eut d’abord l’illusion qu’il allait revivre. La grâce des sites, le charme d’une hospitalité délicate en un palais des champs semblèrent le ranimer. Il fit quelques promenades ; il voulut revoir les lieux où autrefois il avait passé d’heureux jours dans la société du poète Ramon de Campoamor ; mais cet ami des années lointaines n’était plus ! Une indicible mélancolie perçait dans ses paroles. La pensée de la mort prochaine, l’image effrayante de la fin des êtres l’obsédaient. Ce fut au retour d’une de ces promenades qu’il s’alita pour mourir. Le matin même, il avait fourni sa tâche quotidienne, une cinquantaine, dit-on, de ces petits feuillets qu’il couvrait si vite de sa large et ferme écriture. Le lendemain, comme il s’éveillait calme et se croyait dispos, le grand et bon travailleur voulut encore se lever et une dernière fois prendre la plume. Quelques heures après, l’agonie commença. Le curé du bourg fut mandé en toute hâte. Castelar, bien qu’il eût rompu avec l’Eglise, était resté croyant, croyant de toute son âme, et profondément respectueux envers cette religion qui avait enchanté son enfance, qui avait été la religion de sa mère ! Le mourant baisa le crucifix, arrêta son regard, doux et résigné, sur les personnes qui l’entouraient ; puis inclina sa tête comme pour s’endormir. Castelar était mort.

A Madrid, et dans toute l’Espagne, ce fut un deuil public. Le corps fut ramené dans la capitale au milieu d’un concours extraordinaire des populations. Aux stations où s’arrêtait le train funèbre, des chapelles avaient été dressées ; les députations se tenaient sur les quais pour saluer au passage le grand mort. A Madrid, il fut transporté au palais des Cortès. On avait voulu que, pendant les heures qui devaient s’écouler jusqu’au jour des funérailles, sa dépouille mortelle reposât dans la salle du Congreso,