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Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 155.djvu/176

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contre-coup, a rendu le succès de Lucrèce plus significatif. Encore la chose s’est-elle faite contre le gré de Ponsard, admirateur passionné de Victor Hugo, et qui, invité par celui-ci à la première représentation des Burgraves, s’est signalé, jusqu’à la chute du rideau, par l’ardeur obstinée de ses applaudissemens. Et quant à la soi-disant manifestation de « l’école du bon sens » qu’aurait été la première de Lucrèce, la vérité est que cette école n’a jamais existé que dans l’imagination des adversaires de Ponsard ; que jamais celui-ci n’a songé à se poser en chef d’école ; qu’il s’est même longtemps refusé à énoncer, fût-ce dans une préface, les principes littéraires dont il s’inspirait ; et que ces principes n’avaient rien de commun avec ceux qu’a prêtés à « l’école du bon sens » le dépit ou la mauvaise foi de ses détracteurs. C’est, au reste, ce que la simple lecture de Lucrèce suffirait à prouver : l’idéal artistique de l’auteur y apparaît avec une clarté parfaite, et l’on y voit aussitôt que, loin de vouloir revenir aux vieilles formules de la tragédie classique, mais surtout loin de vouloir en rendre les sentimens plus banals et le style plus prosaïque, Ponsard s’est au contraire proposé de dépasser, en quelque sorte, le drame romantique dans la voie d’une étroite et profonde union de la vérité et de la poésie. Ponsard a été un précurseur, bien plutôt qu’un réactionnaire ; son programme, autant qu’on le puisse définir, le rattacherait davantage à Flaubert et à Leconte de Lisle qu’à Voltaire ou à Raynouard ; et si son œuvre, suivant l’aveu de Musset, nous fait entendre « un langage que nous n’avons pas entendu depuis Corneille, » nous ne croyons pas, d’autre part, que jamais un poète ait poussé plus loin le souci de l’exactitude dans les faits, les sentimens, et jusque dans la couleur historique.

Mais on ne sait plus rien de Lucrèce, non plus d’ailleurs que de la personne et de la vie de Ponsard. Et cette ignorance tient, en grande partie, au soin avec lequel l’auteur de Lucrèce s’est toujours tenu à l’écart de la publicité, ayant pour principe qu’un poète ne devait livrer de lui au monde que son œuvre. Tandis que beaucoup de ses confrères s’efforçaient, par tous les moyens, d’entretenir la curiosité autour de leurs noms, prodiguant au premier venu des confidences, d’ailleurs plus ou moins intéressantes, sur leurs projets, leurs idées, leurs procédés de travail, Ponsard s’obstinait dans sa retraite ; n’admettait au spectacle de sa vie que de discrets amis ; il évitait même, le plus qu’il pouvait, le séjour de Paris, dont l’atmosphère et les habitudes, de