Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 155.djvu/196

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

62 ne savaient pas lire. Et combien, parmi les autres, considéraient et traitaient la lecture comme une connaissance que l’on perd de vue ! Un notable de Bari, chargé de faire passer certains examens, m’expliquait, comme un cas assez fréquent, l’anormale histoire de certains jeunes gens qui quittent l’école avec des certificats convenables et mérités, et qui, peu d’années après, sont quasiment brouillés avec l’alphabet : la spontanéité du travail, le self-help intellectuel, sont en Pouille extrêmement rares.

Il en est de même du self-help économique. On est ennemi de la dépense, épris d’une sobriété lacédémonienne : pour quatre sous par jour, on pratique l’art de vivre longtemps. Lorsque les cuisines populaires de Bari se mirent en mesure d’offrir à leur clientèle, même durant la belle saison, les plats chauds et copieux qui étaient l’ordinaire des mois d’hiver, la clientèle négligea cette attention : se départir de la frugalité serait rompre avec une habitude. Mais nulles provinces, en revanche, ne semblent plus rebelles à l’organisation de l’épargne et aux institutions de crédit. On eût moutonnièrement suivi les classes dirigeantes, si celles-ci avaient daigné s’en occuper ; mais les classes dirigeantes, malgré l’exemple que donnait dès 1880, dans la province voisine de Basilicate, M. le député Fortunato, abdiquèrent cette mission éducatrice. Leur insouciance était si notoire, que le congrès des coopératives de Bologne, en 1880, émit le vœu que les coopératives du Nord formassent un fonds collectif pour promouvoir et soutenir, dans le Midi, la diffusion du crédit. M. Pavoncelli, il y a quelques années, installa, pour les nombreux ouvriers qu’il emploie, une coopérative de consommation : le rapide échec qu’elle obtint, — plus de 4 000 francs perdus en deux ans sur un mouvement de fonds de 37 000 francs, — dénota, chez les paysans de la Capitanate, une sorte d’incapacité à comprendre les institutions économiques et à s’associer solidairement pour leur-bien être commun, et la tentative de crédit agricole qu’ébaucha d’autre part la maison Pavoncelli lui coûta 55 000 francs et l’ennui d’un insuccès[1]. Les dépôts aux caisses d’épargne n’ont pas dépassé, pour chaque habitant des Pouilles, une moyenne de 15 fr. 74, alors que cette moyenne, pour l’ensemble des populations italiennes, s’élevait à 60 fr. 75[2]. Les antiques Monti frumentari, qui prêtaient le grain et se laissaient rembourser en grains, établis

  1. Pavoncelli, Una azianda vinaria in Caipitanata, p. 60-61 (Cerignola, 1897).
  2. Lo Re, Capilanata triste, p. 70 (Cerignola, 1896).