Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 155.djvu/244

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

donné la liberté de l’enseignement supérieur. La République se serait-elle trompée ? Serait-elle incapable de vivre avec la liberté de l’enseignement ? Nous rougirions pour elle de le penser. Ce sont là pourtant des discussions auxquelles nous n’échapperons pas ; elles nous attendent demain. On proposera de restituer à l’Université, qui ne le demande pas, qui n’en veut pas, un monopole dont elle n’a pas besoin pour soutenir la concurrence libre. Elle a en elle des ressources que ses prétendus amis ne paraissent pas soupçonner, mais dont elle a conscience. N’importe : la liberté de l’enseignement aura, dans quelques mois, à soutenir un rude assaut, et cela sous le prétexte, toujours le même, qu’il faut défendre la République contre les menées de l’esprit clérical. Si nous regardons autour de nous, nous voyons qu’on jette des pierres contre les établissemens religieux, et qu’on entre dans les églises pour les mettre à sac et les brûler. N’est-ce pas là aussi un danger et peut-on le nier ? De pareils actes ne révèlent-ils pas une propagande par le fait sur les tendances de laquelle il y a lieu d’être inquiets ? Sans doute, répond-on ; mais on pourvoira facilement à ce danger-là : il y en a un autre beaucoup plus grave, qui se présente à des esprits plus profonds. C’est le péril clérical, dont il serait à la vérité difficile de signaler une manifestation palpable et tangible, mais qui, sans effraction apparente, s’infiltre partout et menace la République jusque dans ses fondemens. En conséquence on invite tous les républicains à se rallier autour du vieux drapeau, pour combattre le vieux et bon combat.

Beaucoup ne répondront pas à l’appel. Ils croient à la liberté et ils l’aiment. Ils estiment même qu’elle est de l’essence de la République. En outre, ils regardent par qui leur est adressée cette mise en demeure, et ils reconnaissent, sans le moindre étonnement, qu’elle vient surtout des radicaux et des socialistes, qui, depuis les élections dernières, font un effort énergique pour s’emparer de la direction du gouvernement : ils n’y ont déjà que trop réussi. Toutefois, leur succès est un succès de surprise, et qui sera éphémère s’ils ne parviennent pas, pour le consolider, à donner à la République une orientation nouvelle, où ils se sentent seuls en mesure de la diriger après l’y avoir engagée. Pour qu’on ait besoin d’eux, il faut absolument que la République soit menacée : ils assurent donc qu’elle l’est, et ils dénoncent tous les matins, à l’appui de leur assertion, le militarisme, dont ils ont tout de suite dénoncé l’influence dans l’affaire Dreyfus, et le cléricalisme qu’ils n’ont pas tardé à y découvrir aussi. L’exploitation qu’ils ont faite de l’affaire Dreyfus au profit de leurs entreprises politiques serait un chef-d’œuvre