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Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 155.djvu/265

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font ressortir l’importance de ces facteurs moraux, dont les marxistes, en France, ont pris parti de se moquer, — dans les institutions mêmes sorties de la classe ouvrière, purgées de tout élément bourgeois, — syndicats, sociétés coopératives, bourses du travail, mutualités. Un nouvel esprit de solidarité, une nouvelle conception du droit les animent, La moralité n’est nullement indifférente à la prospérité économique : les Trades Unions, le caractère des hommes qui les dirigent, étudiés par M. de Rousiers, en fournissent la preuve éclatante. « Ces unions, écrit M. Sorel, passent pour réactionnaires, mais le socialisme réaliste de ces ouvriers est beaucoup plus sérieux que celui des députés et des docteurs. » C’est dans son propre sein que la classe ouvrière doit d’abord créer l’esprit et la pratique socialistes. En ce sens, la question sociale est avant tout une question morale. Les ouvriers ne peuvent être vraiment libres que s’ils sont capables de se gouverner eux-mêmes : c’est encore le bien petit nombre.

Il convient donc de se montrer sceptique sur le rôle du prolétariat considéré comme le démiurge d’une société nouvelle. On ne saurait lui appliquer le mot de Sieyès : Que doit-il être ? Tout. Taine, au début de ses Origines de la France contemporaine, expose que les classes de l’ancien régime ont conservé le pouvoir aussi longtemps qu’elles ont rendu les services dont la société de leur temps ne pouvait se passer. Il en est de même de la bourgeoisie. Les classes ouvrières ne la supplanteraient que si elles étaient capables, non seulement de donner à la production une meilleure direction économique, mais de constituer un droit, une morale, des coutumes supérieures à celles de la bourgeoisie ; or ce n’est point le cas actuel.

Puisqu’il faut considérer comme erronée l’opinion que nous nous trouvons en présence d’une dissolution de la société bourgeoise, dissolution dont les classes ouvrières, les premières, auraient infiniment à souffrir, la démocratie socialiste doit orienter sa tactique en conséquence, substituer l’esprit de réforme à l’esprit de révolution, poursuivre son émancipation non en détruisant, mais en construisant, non par l’expropriation politique de la bourgeoisie, mais par l’organisation économique de la classe ouvrière.

Les socialistes doivent en conséquence chercher à acquérir de la puissance dans l’État (Macht) par leur organisation et leur