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Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 155.djvu/314

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dominent dans les échelles du Levant ; et leur ambition s’étend sur tout l’empire. Par le privilège de l’ancienneté, de l’argent et de l’intelligence, ils se croient maintenus dans une supériorité sur les autres races. Mais parmi ces races qui, sous le Turc ou sous le Grec, devraient toujours obéir, sont les Serbes et les Bulgares. Les Serbes, opposant traditions à traditions, rappellent que, dès le XIVe siècle, leur empereur Dusan le Grand avait enlevé aux souverains de Byzance presque toutes leurs provinces d’Europe ; et les descendans du héros serbe ont recueilli dans son héritage sa domination des Balkans. Les Bulgares se sont découvert, au gouvernement de la péninsule, des titres plus anciens que ceux des Serbes : les mêmes régions conquises, au XIVe siècle par Dusan avaient été réunies, dès le IXe, sous le sceptre bulgare de l’empereur Siméon. Cet empereur, le premier, avait conçu le dessein de détruire l’oligarchie grecque et de remettre l’empire à la race qui était le nombre et le courage ; et les Bulgares prétendent n’avoir perdu ni le courage ni le nombre.

Comme chacune de ces trois races est déjà indépendante sur des territoires que, sans conteste, elle a peuplés, le conflit se trouve là suspendu par les faits accomplis. Mais la compétition se concentre avec toute son ardeur sur les territoires qui sont demeurés turcs et que chacune s’adjuge d’avance. Or ces contrées, — la Thessalie, l’Albanie, la Vieille-Serbie, la Macédoine, la Thrace, — sont les « marches » où les races ont leurs frontières, donc se touchent. C’est d’ailleurs une question de savoir si la vaste contrée qui s’étend entre la Grèce, la Serbie et la Bulgarie appartient par parties à ses voisins, ou tout entière à elle-même : peut-être, Alexandre et ses Macédoniens ont-ils fait assez de chemin et de bruit dans le monde pour que leurs descendans aient le droit de se croire un peuple. À ces races principales, d’autres se sont jointes. Essaims envolés loin de la ruche mère, elles sont venues s’abattre là : des tribus albanaises ont quitté leurs montagnes pour celles de la Vieille-Serbie ; des bergers valaques paissent leurs troupeaux sur les pentes du Pinde. Enfin, dans certains de ces pays, les races ne sont pas juxtaposées, mais mélangées et confondues, si bien que toute attribution de souveraineté à l’une d’elles usurperait sur l’autonomie de plusieurs.

La crainte d’être attribuées à une race autre que la leur paralyse les mouvemens d’indépendance dans les populations encore soumises au Turc. Les États déjà délivrés laissent ces