Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 155.djvu/364

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et de transports, et partez de ce point pour en imaginer cent fois plus encore, et vous aurez une faible image de ce qui se passait dans cette foule d’hommes et de femmes de toutes conditions dont le jardin était rempli. Les cris, les chapeaux en l’air, les chants, les danses, les mouchoirs et les drapeaux blancs agités au-dessus des têtes, tout cela formait un spectacle impossible à décrire. Eh bien, concevez-vous qu’au milieu de cette foule il se trouve des insensés, des furieux qui mêlent des cris de  : vive l’Empereur ! aux cris de : vive le Roi ! C’est ce qui arrive cependant tous les jours, c’est ce dont j’ai été témoin hier. Heureusement le roi venait de se retirer. Vous ne pouvez vous faire une idée de l’indignation publique. Tout le monde se précipitait sur les factieux avec des cris épouvantables. Trois ou quatre patrouilles se jetèrent au milieu de la multitude ; il paraît qu’il y avait parmi les partisans de Bonaparte un ou plusieurs officiers. Les sabres furent tirés, les baïonnettes croisées, il fallait voir le mouvement de cette foule poussée et repoussée en sens contraire, et entendre les cris des femmes effrayées, qui cherchaient à se sauver et ne faisaient qu’augmenter le désordre. J’étais là avec la petite canne que vous me connaissez, ayant une envie démesurée d’en faire usage et m’égosillant à crier : Vive le Roi ! Enfin une douzaine de misérables furent arrêtés et le calme revint. Ceux qu’on arrête ainsi avouent presque tous qu’ils sont payés. Payés ou non, je ne conçois rien à cette rage nationale qui cherche à empêcher la multitude d’en faire sur-le-champ justice. Il y en a toujours d’extrêmement maltraités. Une chose fâcheuse, c’est que des innocens sont quelquefois victimes de l’indignation trompée. Je vous avoue que tout cela m’afflige et m’inquiète infiniment. Je ne vous conseille point de venir encore à Paris, que les choses n’aient pris une autre figure, non qu’il y ait le moindre danger, mais à quoi bon venir chercher des sujets d’affliction et d’inquiétude à 80 lieues de chez soi ? »

Il terminait ce triste et vivant tableau de Paris en 1815 par les lignes suivantes :

« A propos, je suis redevenu journaliste. Je donnerai de temps à autre quelque article au Journal général, qui, comme vous savez, s’est soutenu avec courage et noblesse pendant l’usurpation. Je dois en avoir un d’inséré très prochainement. Je ne vous dis point le jour, parce que je veux voir si vous le reconnaîtrez ou le devinerez. Il ne portera aucune signature. Je vous