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Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 155.djvu/372

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[1], pour se rendre compte qu’ils sont tous deux de la lignée des poètes philosophes. Par malheur, c’est le destin des intermédiaires d’être éclipsés par ceux dont ils furent les précurseurs. « Ils ne sont rien en un certain sens, a-t-on dit, puisqu’ils n’ont d’autre utilité que de se rendre eux-mêmes inutiles : ils travaillent, pour ainsi parler, à leur propre élimination. Mais, en un autre sens ne peut-on pas soutenir qu’ils sont tout ? puisque, si nous les négligeons, si nous ne leur prêtons pas l’attention qu’ils méritent, c’est la succession des faits qui nous échappe, c’est la généalogie des formes, c’est la continuité de ce mouvement intérieur qui est la vie de l’histoire[2]. » Eh bien ! si Charles Loyson n’avait pas doté la poésie française des élégies qui ont pour titre l’Air natal, le Lit de mort, le Retour à la vie, les Souvenirs d’enfance, il manquerait à la chaîne d’or qui unit Millevoye à Lamartine un anneau dont, historiquement et naturellement, elle ne saurait se passer. Et l’on dirait, vraiment, qu’il s’analysait lui-même, lorsque, saluant les Méditations qui venaient de paraître, il s’exprimait ainsi sur le compte de Lamartine :

« On aurait beau revêtir les plus jolis lieux communs de boudoir de la friperie mythologique la plus fraîche et la mieux conservée, orner d’hémistiches pompeux et sonores un grand événement ou des sentimens élevés, étaler dans des vers artistement

  1. Pensers mystérieux, espace, éternité,
    Ordre, beauté, vertu, justice, vérité,
    Héritage immortel, dont j’ai perdu les titres,
    D’où m’êtes-vous venus ? quels témoins, quels arbitres
    Vous feront reconnaître, à mes yeux incertains,
    Pour de réels objets ou des fantômes vains ?
    L’humain entendement serait-il un mensonge,
    L’existence un néant, la conscience un songe ?
    Fier sceptique, réponds ; je me sens, je me voi ;
    Qui peut peindre mon être et me rêver en moi ?
    Confesse donc enfin une source inconnue,
    D’où jusqu’à ton esprit la vérité venue.
    S’y peint en traits brillans, comme dans un miroir,
    Et pour te subjuguer n’a qu’à se faire voir.
    Que peut sur la lumière un pointilleux sophisme ?
    Descarte en vain se cherche au bout d’un syllogisme,
    En vain vous trouvez Dieu dans un froid argument ;
    Toute raison n’est pas dans le raisonnement,
    Il est une clarté plus prompte et non moins sûre
    Qu’allume à notre insu l’infaillible nature
    Et qui, de notre esprit enfermant l’horizon,
    Est pour nous la première et dernière raison.

  2. F. Brunetière, Études critiques sur l’Histoire de la littérature française, t. VI. — Un précurseur de la Pléiade.