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Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 155.djvu/389

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dernier roi devait, tôt ou tard, s’enfuir pour échapper aux Anglais.

Tout autour de la ville royale, aujourd’hui appelée Fort Dufferin, s’étend maintenant, au milieu d’un monde de pagodes et de riches monastères bouddhiques, une ville qui compte 200 000 habitans.

Les Anglais reconnaissaient à Myndoon des qualités remarquables. Un de nos compatriotes, qui a eu l’honneur d’être son ami et qui a été accueilli par lui avec une faveur exceptionnelle, me racontait que ce roi était un esprit très élevé, un cœur chaud et enthousiaste. Ils avaient ensemble de longues conversations ; et tandis qu’on s’alarmait, les croyant occupés de politique, Myndoon se plaisait à discuter philosophie et religion. Nos idées et nos croyances chrétiennes répondaient à beaucoup de ses aspirations. Pour lui, les questions de l’au-delà, et du revoir des êtres aimés ne trouvaient pas leur solution dans le bouddhisme. La série des transmigrations dans toute sorte d’animaux plus ou moins nobles, avant de parvenir au plus haut degré de perfection et au Nirvana, ne répondait pas du tout aux idées de raison et de justice que concevait ce grand esprit. Il avait perdu une femme qu’il avait beaucoup aimée et dont il se plaisait à parler. Contrairement à l’usage en honneur chez les princes, il n’avait pas consenti à la laisser brûler et l’avait fait enterrer.

Myndoon avait succombé subitement à des intrigues de palais qui placèrent sur le trône de Mandalay un roi faible et incapable du nom de Theebaw. Or, le 28 novembre 1885, une centaine de soldats anglais, menés par quelques officiers, surprenaient le roi Theebaw, entouré de ses femmes et de sa cour, respirant l’air du soir, avant le crépuscule, sous la véranda du petit chalet que j’ai vu dans le parc. Le lendemain, le dernier roi de Birmanie ne s’enfuyait pas vers l’est, comme les augures l’avaient annoncé, mais, sous bonne escorte, il descendait pour toujours l’Irrawaddi, pour s’en aller vivre dans la solitude de Ratnagherry près de Bombay.

On ne voit que glaces et dorures dans tous ces palais de la dernière dynastie, convertis aujourd’hui en église protestante, club anglais et offices divers. La chambre, toute en mosaïques de glace, de la reine Supuyalat, belle et féroce, la femme de Theebaw, le roi détrôné, sert de salle à manger au club. Et que de scènes terribles, grand Dieu ! ont vues tous ces brillans lambris :