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Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 155.djvu/39

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fait de petits panneaux, qui sont d’incontestables bijoux d’exécution fine et ferme, mais comme ciselés dans le bois. Il ne connut pas le sentiment des souplesses et des veloutés des carnations ; aussi n’a-t-il jamais réussi les femmes. Il ignorait le charme infini de leurs grâces flexibles, de leurs modelés exquis. Il voyait tout, sauf le mystère. Aucun sacrifice, sa curiosité fouillait infatigablement.

Il est encore trop près de nous pour qu’on puisse le classer d’une façon définitive. La postérité ratifiera-t-elle l’admirable place d’honneur accordée à sa statue ? C’est une si belle chose que la conscience absolue d’un artiste, même lorsqu’elle manque d’horizon ! On m’a assuré qu’il avait détruit plus d’un panneau dont il n’était pas content, au moment où un amateur voulait le couvrir d’or. Et pourtant, toute sa vie, il fut dans la gêne. Car il n’était pas seulement fier de son talent, il l’était aussi de ses chevaux, de ses voitures, de son luxe, dont il ne jouissait guère, puisqu’il travaillait sans relâche.

Il me montra un jour ses calèches sur lesquelles il avait peint des animaux en sorte d’armoiries parlantes ; et il me dit : « Les rois ne sont pas assez riches pour avoir des Meissonier sur leurs portières. »

Il vit l’une de ses ambitions réalisées lorsqu’on le nomma maire de Poissy.

Il a prouvé pendant la période, dite du 16 Mai, qu’il était capable d’indépendance politique.

Très petit, le corps presque perdu sous les longs flots de sa barbe de fleuve, il se démenait dans sa marche, aimait à se faire remarquer, et à pousser des exclamations aiguës. Il a eu un très grand tort en sa vie, qu’il a, m’a-t-on dit, regretté au moment de sa fin : ce fut de rendre possible, par son importance, la fatale rupture qui sépare les artistes en deux camps, au grand détriment de l’intérêt général de l’Art.

Mon intention, ici, n’est pas de suivre, à chaque Salon, l’œuvre de chaque artiste, mais de regarder dans ma mémoire leur production d’ensemble, comme je l’ai fait au commencement, le plus souvent sans date précise, seule façon possible de suivre des évolutions, dont les points de départ sont, d’abord, toujours confus et dont le public ne s’aperçoit guère. Ainsi ne donna-t-il pas grande attention, en 1861, aux vastes toiles de Puvis de Chavannes, un nouveau venu qui inaugurait un style inaccoutumé