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Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 155.djvu/411

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grands bambous et les bananiers. Nous campons au centre du village, sous une sorte d’abri fait simplement d’un toit et d’un plancher surélevé. Il fait nuit, l’air est frais. Je demande de la lumière, et bientôt des bambous flambans ramènent la gaieté. Enveloppée dans mon unique châle, je me couche tout de mon long contre le feu, mon casque me servant d’oreiller. Mon pauvre écuyer me regarde si piteusement que j’éclate de rire. On n’avait jamais vu d’Anglais dans ce coin perdu, et nos personnes jetaient un certain émoi. Mais, en me voyant rire de si bon cœur et pas méchante, les hommes s’approchent et se risquent à satisfaire leur curiosité. Toute la nuit, je leur ferai entretenir le feu et me retournerai toutes les dix minutes pour égaliser la température.

On se repose tout de même, tandis que, suspendus à de hautes perches, des bouts de bambou heurtés contre d’autres morceaux de bois tintent comme des cloches sur ma tête, pour éloigner les natt. Comme ils ont raison, les braves gens ! sans les bambous qui résonnent, bien sûr, nous n’aurions au matin retrouvé ni l’oasis, ni le village, ni peut-être nous-mêmes.

Enfin nous arrivons au Salouen, à quatorze étapes de Taunggy et à douze étapes de Xieng-Tung. Les Anglais ont organisé des services de bac sur ce fleuve, de même que sur les trois larges rivières qui le précèdent sur la route et que l’on traverse près de leurs plus larges tournans, afin d’éviter les courans trop violens. Tout un campement nous y a précédés avec une douzaine d’éléphans privés qu’on est en train de promener, de baigner et de laver.

D’un côté à l’autre du Salouen, la configuration du pays change absolument d’aspect. A l’ouest, une série de hauts plateaux s’étendent, séparés par de profondes vallées, et interrompus par des chaînes de montagnes qui suivent toutes la même direction comme les grands fleuves. Quelques pics s’élèvent à 2 800 mètres, tandis que l’altitude générale des plateaux varie de 900 à 1 500 mètres. A l’est, la nature prend immédiatement un aspect plus sauvage, plus désordonné. Les montagnes se dressent brusquement et le sentier qui les côtoie surplombe les précipices. Le Salouen est à 400 mètres d’altitude. Dès la première assise de montagnes, nous sommes à 800 mètres ; à la seconde, nous atteignons 1 000 mètres, et sur l’arête, où je campe le soir même, je constate 1 100 mètres à mon anéroïde. Le lendemain matin, j’avais vite atteint 1 600 mètres et, le surlendemain, je descendais 1 000 mètres en