Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 155.djvu/436

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avait pu faire tant bien que mal la zafra et entreprendre la molienda. De ses trois sucreries, il avait pu expédier, entre le mois d’avril et le mois de juin, par la ligne centrale de Cardenas au Jucaro, les quantités de sacs suivantes : de son usine Esperanza, 17 098 sacs ; de Porfuerza, 15 937 ; de la Paz, 4 501 ; en tout 37 536 sacs. Résultat qu’il déclare relativement satisfaisant, dans le malheur des circonstances. Homme de lutte et, par nature, peu enclin au découragement, il note pourtant qu’un tiers de la propriété a été ruiné à Cuba, depuis l’ouverture des hostilités. Les bateyes des grandes exploitations de sucre, détruits par les insurgés, dépassent le nombre de 200 et valaient plus de 75 millions de duros (375 millions de francs), sans compter ceux des colonias dont la valeur était de plus d’un million de duros (5 millions de francs). Joignez-y la valeur de la canne détruite sur pied — au moins 50 millions de duros (250 millions de francs), — puisqu’on la paie habituellement 2 duros les 100 arrobas, et que la quantité brûlée ou ravagée ne saurait être au-dessous de 1 050 millions d’arrobas. Le calcul de D. Manuel Carreño y Fernandez le conduit ainsi à cette désolante constatation que la guerre, en un an et dès 1896, avait coûté à Cuba, rien que dans sa production de sucre, 126 millions de duros (630 millions de francs). Si encore cette énorme perte[1] n’avait pas entraîné après elle le manque de travail, et toutes les misères qui lui font cortège ! Mais, faute de travail, et par conséquent faute de pain, 50 000 ouvriers s’étaient jetés Mans la brousse et étaient allés grossir l’armée de la révolte.

Maintenant, après la production, la consommation. Tout ce sucre qui sort des vastes plaines de Cuba, où se vend-il ? Qui achète ces 1 100 000 tonnes ? Qui mange ce milliard passé de kilogrammes ? Il y a trente-cinq ans déjà, avant la guerre de Dix ans, en 1865, on calculait que les Etats-Unis, à eux seuls, achetaient 62 pour 100 du produit total, la France et les autres pays, 22 pour 100 ; l’Espagne, pas plus de 3 pour 100[2]. Pour les cinq dernières récoltes que la statistique ait analysées, la proportion n’a varié qu’à l’avantage des États-Unis, lesquels en sont venus

  1. D. Manuel Carreño n’a garde d’omettre pour les exploitations fruitières : 20 millions de duros ; pour les plantations de café : 5 millions ; pour les potreros et exploitations plus petites : 3 millions. Total général de la richesse cubaine détruite, suivant lui : 154 millions de duros = 770 millions de francs. Il estime que, personnellement, il avait perdu environ 120 000 pesos (600 000 francs).
  2. D. Carlos de Sedano, Cuba, p. 302.