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Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 155.djvu/472

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ce qui se rattache au voyage de Francfort ; et ainsi il nous a permis de voir, en raccourci, combien était réelle cette « étonnante variété et richesse d’esprit» que le P. Baumgartner regarde comme la principale qualité de Gœthe. Étonnante, en effet, à peine croyable ! En vingt-deux jours, Gœthe s’occupe de cent sujets différens, depuis la politique jusqu’à la décoration théâtrale, depuis la métaphysique jusqu’au jardinage. Il écrit dix lettres par jour, à Schiller, au peintre Meier, au grand-duc de Weimar, à sa maîtresse Christiane Vulpius ; et dans chacune de ces lettres, c’est comme si nous avions devant nous un homme nouveau, s’abandonnant tout entier aux questions qu’il traite ; et son journal nous apprend que, après avoir écrit ces dix lettres, il a encore visité une église, pris part à des expériences de physiologie, réglé des affaires de succession, engagé des architectes pour le théâtre de Weimar, composé des vers, écrit des articles, entendu des vaudevilles et interrogé des Francfortois sur l’occupation du pays par les troupes françaises. Mais ce n’est pas en quelques lignes que je pourrais montrer ce qu’a vraiment d’original cette multiplicité des préoccupations et des goûts de Gœthe : mieux vaut me borner, aujourd’hui, à signaler le livre de M. Geiger, et citer encore quelques extraits d’une autre publication récente, qui, elle, nous transporte aux dernières années de la vie du poète.

C’est en effet de 1829 que datent la plupart des fragmens du Journal de l’Anglais H. C. Robinson (1775-1867), qui viennent d’être traduits dans la Deutsche Rundschau par Mme Ellen Mayer. Nous y voyons Gœthe à quatre-vingts ans. Mais dès 1801, Robinson, qui était alors correspondant du Times, avait eu l’occasion de rencontrer le grand homme dont il devait devenir l’ami vingt-huit ans après. Dans sa somptueuse maison de Weimar, il était allé lui faire visite, en compagnie d’un ami, et avait été, d’ailleurs, assez froidement reçu. Il n’en avait pas moins été frappé de sa « toute-puissante beauté » et de « cet air de noble réserve que seuls les petits esprits pouvaient prendre pour de la hauteur. » Quelque temps après, il avait dîné chez Gœthe avec Mme de Staël et Guillaume de Schlegel. Le poète avait parlé avec amertume de la « manie de moralité » des Anglais : il avait dit aussi qu’il « haïssait tout ce qui était oriental, » ajoutant qu’il en était fort heureux. « Je me réjouis fort de sentir qu’il y a des choses que je hais : car rien n’est plus mortel pour nos sentimens que de trouver que les choses sont comme elles doivent être. » Mais de ces premières entrevoies, l’écrivain anglais avait simplement emporté l’impression que Gœthe était un homme supérieur : la liaison intime ne s’était pas produite. Schiller, qu’il avait rencontré à