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Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 155.djvu/477

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Il fallait, d’après ces critiques, confirmer le premier jugement et prononcer à nouveau la première peine, ou renvoyer Dreyfus après avoir proclamé son innocence. Hors de ce dilemme, point de salut.

Cette argumentation a une apparence rigoureuse, assez propre à séduire quelques esprits ; mais, à notre avis, elle part de prémisses fausses. Les circonstances atténuantes n’ont jamais eu dans la pensée de la loi, et, en tout cas, elles ont rarement dans la pratique le caractère de logique absolue qu’on prétend leur attribuer : sinon, il faudrait admettre que, toutes les fois qu’elles interviennent, le juge a eu des doutes sur la culpabilité de l’accusé, au moment même où il l’affirmait. Elles ne sont, à vrai dire, qu’un moyen donné au juge, surtout quand il agit comme juré, de proportionner la peine à tout un ensemble de circonstances très variées et très diverses qu’il a été seul à même d’apprécier. Le juge ordinaire donne les motifs de sa sentence, et il peut par là expliquer et modérer la peine qu’il prononce ; le juré ne les donne pas, et c’est seulement par l’admission des circonstances atténuantes qu’il peut faire connaître sa pensée tout entière sur le châtiment que lui paraît mériter le condamné. Le juré cherche toujours à adapter la peine à l’idée qu’il se fait du crime et du criminel, idée qui lui appartient en propre et qu’il n’a pas d’autre moyen de manifester. Si la peine lui apparaît trop forte, il lui arrive parfois, et nul ne l’ignore, de déclarer innocent un accusé dont la culpabilité ne fait à ses yeux aucun doute. Il y a, en tout cela, une part d’empirisme. Mais nous parlons ici d’une manière générale : faut-il répéter que, dans l’espèce actuelle, nous ne savons pas au juste et nous ne saurons jamais de quels élémens s’est formée l’intime conviction des juges et, par conséquent, quelle est exactement cette conviction ? Le Conseil de guerre croit à la trahison ; mais dans quelles conditions a-t-elle été commise, c’est ce qu’il n’a pas dit, et ce qui, néanmoins, a pu influer sur son arrêt. Qui sait, d’autre part, si les juges de Rennes n’ont pas fait entrer en ligne de compte, à côté de l’intention scélérate qu’ils ont voulu frapper dans l’accusé, le peu de tort qu’il a causé réellement à la défense nationale ? Les opinions ont été très partagées sur la valeur des documens énumérés au bordereau. Mais, nous le répétons, ce sont là de notre part de simples conjectures et elles sont certainement contestables. Ce qui ne l’est guère, c’est que le Conseil de guerre a estimé que quel qu’ait été son crime, Dreyfus ne pouvait pas être frappé en 1899 de la même peine qu’en 1894 ; et la raison n’en est pas bien difficile à trouver. Quelque sévères qu’ils aient cru devoir être, les juges de Rennes sont des hommes, ils ont un cœur sous leur tunique, et