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Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 155.djvu/501

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IV

Un des problèmes les plus dignes d’intérêt, non pas seulement pour l’historien, mais encore pour le psychologue, c’est la décadence si rapide de ce peuple dont on avait pu dire un siècle environ auparavant : « Quand l’Espagne se remue, le monde tremble. » La dégénérescence du caractère national en Espagne eut des causes multiples, à la fois physiques et morales. Physiques, parce que la race fut atteinte jusque dans son sang, dont elle avait follement dépensé la partie la plus pure et la plus vitale. Elle s’était, par plusieurs voies, vidée elle-même de ses élémens supérieurs. D’abord elle avait brûlé de ses propres mains, comme en un immense autodafé, presque tout ce qui avait foi profonde et intérieure, pensée indépendante, volonté dévouée à tous les sacrifices, conscience inflexible. M. Galton a calculé le nombre considérable de familles que l’Inquisition fit disparaître, familles d’élite et fécondes en talens (ou eugéniques), dont l’extinction contribua à paralyser l’industrie, les arts, la littérature. En même temps que l’Espagne exerçait à rebours la « sélection religieuse, » en éliminant par le fer et le feu les consciences les plus ardentes et les volontés les plus fortes, elle l’exerçait encore à ses dépens on multipliant outre mesure les ordres monastiques voués au célibat. Les parties de la nation les plus capables de foi profonde et de haute moralité se trouvaient ainsi triées en quelque sorte, vouées à l’infécondité, incapables de faire souche. Peu à peu, par l’élimination directe des croyans hétérodoxes et l’élimination indirecte des croyans orthodoxes, la foi devait aller en perdant son intériorité pour se paganiser et se réduire, comme nous l’avons vu, aux pratiques populaires.

Malgré cela, il est difficile d’admettre que l’Inquisition et le monachisme, à eux seuls, eussent pu ainsi anémier la race même. Il y faut ajouter les guerres folles de Charles-Quint et surtout les conquêtes en Amérique, qui déversèrent au-delà de l’Océan tout ce que l’Espagne contenait de caractères entreprenans et énergiques.