Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 155.djvu/584

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Quelques mois plus tard, elle fut mêlée au roman du Roi avec Mlle de Hautefort, et ne s’aperçut même pas, ce qui est du reste à sa louange, des luttes des cabales pour faire tourner l’aventure à leur profit. Mademoiselle avait pourtant ouvert les yeux et les oreilles tout grands ; les manèges d’amoureux l’intéressaient, comme toutes les petites filles. Nous devons même à cet instinct de son sexe, à défaut de remarques plus sérieuses, un joli tableau de la transformation de l’homme par l’amour, cet homme fût-il l’ennuyeux et ennuyé Louis XIII. La chasse était le grand plaisir du Roi. En 1638, pendant ce printemps lumineux où on le vit presque gai, où il fut par momens tout à fait heureux, grâce à deux grands yeux bleus, il emmenait sa nièce et d’autres jeunes filles derrière ses chiens, pour avoir un prétexte d’emmener Mlle de Hautefort : — « Nous étions toutes vêtues de couleur, raconte Mademoiselle, sur de belles haquenées richement caparaçonnées, et, pour se garantir du soleil, chacune avait un chapeau garni d’une quantité de plumes. L’on disposait toujours la chasse du côté de quelques belles maisons, où l’on trouvait de grandes collations, et, au retour, le Roi se mettait dans mon carrosse entre Mme de Hautefort et moi. Quand il était de bonne humeur, il nous entretenait fort agréablement de toutes choses. Il souffrait dans ce temps-là qu’on lui parlât avec assez de liberté du cardinal de Richelieu ; et une marque que cela ne lui déplaisait pas, c’est qu’il en parlait lui-même ainsi. »

« Sitôt que l’on était revenu, on allait chez la Reine ; je prenais plaisir à la servir à son souper, et ses filles portaient les plats. L’on avait règlement, trois fois la semaine, le divertissement de la musique, que celle de la chambre du Roi venait donner, et la plupart des airs qu’on y chantait étaient de sa composition ; il en faisait même les paroles, et le sujet n’était jamais que Mme de Hautefort. Le Roi était de si galante humeur, qu’aux collations qu’il nous donnait à la campagne, il ne se mettait point à table, et nous servait presque toutes, quoique sa civilité n’eût qu’un seul objet. Il mangeait après nous et semblait n’affecter pas plus de complaisance pour Mme de Hautefort que pour les autres, tant il avait peur que quelqu’une s’aperçut de sa galanterie. »

En dépit de ces précautions, la Cour et la Ville, Paris et la province étaient informés des moindres incidens d’une affaire de cette conséquence. La seule personne que la passion du Roi laissât indifférente était la Reine. Anne d’Autriche n’avait jamais été