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on tombe dans le néant. Cette précision est alors absolument rigoureuse, surtout à la peinture.

Il ne faut jamais oublier que l’art dont nous nous occupons ici, ne peut rien exprimer sans le secours de la matière, puisqu’il ne peut s’adresser au cerveau qu’en passant par les yeux. Pour faire pressentir l’immensité immatérielle, il a besoin de toute l’étendue matérielle. C’est par la vie physique qu’il aborde la vie invisible, toutes deux régies par les mêmes lois. Comment faire pressentir l’infinie puissance de la seconde, par une forme chétive et maladive ? L’art pour l’aborder n’a pas assez de tout son clavier, de toutes ses ressources. C’est pourquoi le procédé éteint et abstrait que l’on impose à un art dépendant ne peut convenir à l’indépendante peinture de la vie, surtout lorsqu’elle a pour but d’exprimer le règne de l’imagination. Il y a des pensées et des sentimens qui éclatent comme des soleils, d’autres qui ne sortent pas du rêve des nébuleuses : ces nuances infinies et diverses réclament tous les moyens d’expression. Rubens n’est jamais plus audacieux, plus éclatant, plus clair que dans ses allégories ; et Rembrandt, le peintre de l’invisible, est le plus puissant des peintres visibles. Pour peindre le surnaturel, il faut toute l’étendue et toute l’intensité du naturel.

Le légitime succès qu’ont obtenu les travaux décoratifs de Puvis de Chavannes, a pu entraîner certains artistes à se servir, pour leurs tableaux de genre et d’histoire, de ses procédés sommaires, de ses larges localités de tons plats, de ses modelés à peine saillans, et ils ont abouti à une uniformité engourdie. Je sais bien que pour tous les arts, la simplicité et la grande unité sont des qualités principales ; mais, dans la peinture dont il nous reste à parler, cette simplicité et cette unité doivent être la résultante de mille variétés, des tressaillemens de la vie et de l’air. Le procédé est appelé, ici, à rendre les âpretés, les souplesses, toutes les inflexions de la nature, tous les frissons de l’épidémie, toutes les vibrations de la lumière ; son unité, c’est la grande synthèse des forces naturelles.

Les artistes qui se sont emparés, pour leur usage exclusif, du mot impressionniste, ont la prétention de se dire les initiateurs de cette recherche des secrets de la vie. Ils s’abusent infiniment. L’impressionnisme est vieux comme le monde. Mais ces prétendus novateurs ont crié plus fort que leurs devanciers : de là la méprise d’un public trop distrait. Les quelques découvertes dont