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Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 155.djvu/612

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une grande personne maigre et noire, et qui a le visage fort long. Elle est prolixe en ses discours, et a un ton de voix de magister qui n’est nullement agréable. » Le portrait n’est pas chargé, bien qu’il soit de Tallemant ; il est vraiment impossible de se représenter Mlle de Scudéry en ingénue. Je pense aux filles de la maison, par qui viendront l’excès de délicatesse, la préciosité et la décadence : à Julie d’Angennes, pour qui fut faite la Guirlande de Julie et qui devint Mme de Montausier ; à Angélique de Rambouillet, qui fut la première des trois femmes de M. de Grignan. Je pense à toutes leurs amies, Mlle de Bourbon en tête : c’était la future Mme de Longueville.

Il ne faut pas se figurer une réception à l’hôtel de Rambouillet avec l’aspect austère d’une séance de l’Institut. Ce n’aurait pas été la peine d’avoir là une Sévigné, une Sablé, une La Fayette, une Paulet, pour prendre des airs d’être en classe, même en discutant s’il fallait dire avoine et sarge avec la Cour, ou aveine et serge avec les halles et le port au Foin, même en assistant aux assauts d’éloquence des beaux esprits, à propos du livre nouveau ou de la pièce en vogue. Les conversations grammaticales ou littéraires étaient pourtant l’écueil ; elles dégénéraient d’un rien en exercices de collège. On reste aujourd’hui confondu de la solennité avec laquelle Conrart parle à Balzac, dans une lettre de 1639, d’un « tournois » entre Voiture et Chapelain, à l’hôtel de Rambouillet, au sujet d’une comédie de l’Arioste, et des « Arrêts » en forme rendus sur ce différend par l’ermite de l’Angoumois[1]. Il était urgent que les gens du monde s’en mêlassent, pour empêcher de prendre au sérieux tant de choses qui n’en valaient vraiment pas la peine.

Les écrivains venaient lire leurs œuvres inédites chez Arthénice ; tous les chefs-d’œuvre de Corneille y passèrent[2], ânonnés par leur illustre auteur, et si le « rond » se trompa pour Polyeucte, il vit juste pour le Cid, qu’il soutint contre Richelieu. On lisait aussi les lettres des absens, on improvisait des vers, on jouait la comédie, on raffinait en paroles sur l’amour, on faisait à tous ces jeux d’esprit des progrès en vivacité, et l’on devenait brillant en attendant de devenir entortillé. C’était la première période du règne des Précieuses, la bonne, celle dont La Bruyère a écrit d’après les récits des vieillards de son temps : — « Voiture et Sarrazin étaient nés pour leur siècle, et ils ont paru dans un

  1. MM. R. Kerviler et Ed. de Barthélémy, loc. cit.
  2. Cf. M. Bourriez, loc. cit.