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Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 155.djvu/636

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guide, nous oblige à prendre le sentier tracé sur le flanc de droite, et qui descend par une pente fort modérée, tandis que la ligne de fond de la vallée en a une très prononcée. Aussi, au bout de peu de temps, nous trouvons-nous à une hauteur énorme au-dessus du torrent. Le mot sentier est mis ici par euphémisme, car personne ne s’est jamais donné la peine de faire le moindre terrassement volontaire pour rendre le chemin praticable. Ce sentier est tout simplement le produit des efforts gymnastiques, sans aucun plan préconçu, faits par les voyageurs successifs, — j’allais dire par les patiens successifs, mais le terme serait impropre, car le rôle que leur imposent les difficultés de la route n’a rien de passif, — qui ont voulu se rendre d’un côté à l’autre de la montagne, et qui, une fois engagés dans cette imprudente entreprise, ont bien été contraints, coûte que coûte, de la continuer. Chacun d’eux a cherché à se tirer de son mieux des mauvais pas. Mais aucun ne s’est avisé ensuite, une fois passé, de s’attarder à accommoder la route pour ceux qui viendraient après lui. Aussi le résultat final, au point de vue de l’art des ponts et chaussées, laisse-t-il beaucoup à désirer.

Le chemin, mauvais en tout temps, est rendu particulièrement défectueux, le jour où nous nous y engageons, par un verglas qui enduit les étroites corniches sur lesquelles on est obligé de marcher. En trois endroits notamment, tenant d’une main la bride ou la queue de mon cheval, et de l’autre m’appuyant à la paroi, je dois ramper ou marcher de côté pendant environ 150 mètres chaque fois, le nez tourné du côté du rocher, et les pieds mal affermis sur un rebord qui n’a qu’un ou deux décimètres de large. Immédiatement au-dessous, entre nous et la première terrasse où peut s’arrêter l’œil, il existe un escarpement tantôt à pic, tantôt légèrement incliné, mais toujours trop abrupt pour qu’il soit possible de s’y retenir en cas de chute. Puis, au bas de plusieurs ressauts successifs, dont la disposition varie, une gorge à falaises verticales de plusieurs centaines de mètres de profondeur. En somme, le lieu est aussi bien disposé que possible pour que l’on puisse s’y rompre les os.

Au bout de cinq kilomètres d’un trajet rempli d’exercices du même genre, nous descendons enfin, par une pente assez difficile, au fond de la vallée, et nous nous mettons à suivre le lit du torrent, devenu praticable. Dès lors, la marche n’est plus qu’une promenade. Pendant seize kilomètres, nous cheminons