Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 155.djvu/639

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Samedi 1er novembre. — Il a fait froid cette nuit-là, et quand nous voulons nous lever, je constate que l’humidité de nos respirations a formé sur nos poitrines, d’une épaule à l’autre, une croûte de glace qui atteint, en certaines places, deux à trois millimètres d’épaisseur : Nous ne nous attardons pas outre mesure dans ce campement, qui a tout au moins l’avantage d’être rapidement levé. Les chevaux sont rechargés. Mais ce qui est curieux, c’est qu’ils ont trouvé leur vie pendant les dernières heures de la soirée et les premiers momens du jour. En grattant la neige et la terre avec leurs pieds, dans les endroits abrités, où le sol est le moins gelé, et le long des berges du ruisseau, ils ont déterré des racines de graminées en quantité suffisante pour leur alimentation. Ce sont des animaux bien précieux. Quant à nous, avant de partir, nous déjeunons, et, selon ma coutume, ce sera pour toute la journée.

Le déjeuner est froid, mais froid dans toute l’acception du mot. Il se compose des restes du dîner de la veille. Nous n’avons plus de bois, ayant usé tout ce que nous en avions pour entretenir pendant la nuit un feu motivé par la panique des chevaux et par la température. Le thé est gelé dans le grand koungane de cuivre qui nous sert de théière. J’hésite à brûler, pour faire chauffer de l’eau, une partie de notre provision d’alcool : il serait préférable de le boire dans les mauvais pas. Le mouton est gelé ; le pain surtout est solidement gelé : il faut le casser avec une pioche, puis l’écraser avec le dos du même outil, pour éviter de s’y briser les dents. Heureusement les caravanes sont, toute l’année, nombreuses sur cette route : les vestiges du passage de leurs animaux nous fournissent un combustible utilisable et bien connu de tous ceux qui ont-traversé les déserts. Nous en ramassons une quantité suffisante, que nous jetons sur les restes de notre feu, et nous parvenons à faire chauffer de l’eau pour le thé. Je regarde le thermomètre : auprès du feu, il indique — 15°, ce qui, après tout, n’est pas une température bien basse, comparativement à celle qu’a éprouvée Groumbtchevsky huit jours auparavant. En somme, nous avons une chance relative, et nous bénéficions d’un radoucissement momentané. Mais le culte de la belle étoile, même quand on le pratique vêtu d’une touloupe en peau de mouton et chaussé de bottes en feutre, n’est pas fait pour réchauffer ses adeptes lorsque vient le matin après une nuit entière consacrée à sa dévotion. En outre, il souffle dans cette gorge un vent