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jouissent dans le pays d’une popularité dont le seul résultat est d’entretenir contre eux les colères royales. Milan ne s’est même pas borné à englober dans le prétendu complot les hommes qu’il déteste et qu’il redoute au dedans ; il a étendu ses accusations au dehors, et, sans aucune preuve, il a dénoncé le prince de Monténégro comme un des instigateurs de l’attentat, par lui-même ou par son gendre, le prince Pierre Karageorgevitch, candidat au trône de Serbie. La conspiration avait à ses yeux pour objet évident de restaurer les Karageorgevitch à la place des Obrenovitch, et on commençait pour cela par assassiner le plus redoutable de ces derniers, le seul même qui le soit, car qui se préoccupe du roi Alexandre ?

Nous ne suivrons pas Milan dans les détails le plus souvent fantasques, mais toujours odieux, de l’intrigue dont il a ourdi la trame. Aussi longtemps qu’a duré l’instruction, on a fait dire à Knezevitch tout ce qu’on a voulu, et, soit par l’espérance de sauver sa vie, soit par la torture, — car personne ne doute qu’elle ne soit en usage dans les prisons serbes, — on a obtenu de lui qu’il dénonçât tous les chefs du parti radical, tous les hommes dont le roi voulait se débarrasser. Le ministère public est donc venu devant la Cour martiale avec un réquisitoire terrible, où les faits les plus graves à la charge des prévenus étaient affirmés par Knezevitch, et par d’autres témoins comme on s’en procure toujours quand on en a besoin et qu’on y met le prix. Mais Knezevitch, à peine en présence de la Cour, a semblé rendu à lui-même, et il a retiré toutes ses accusations en déclarant qu’elles étaient fausses et qu’il avait parlé par haine ou par vengeance. On l’a fait aussitôt disparaître, et, le lendemain, on a eu affaire à un Knezevitch un peu différent de celui de la veille : nul ne peut dire, mais il est permis de deviner quelles suggestions avaient été exercées sur lui, et par quels moyens. Knezevitch s’est, depuis lors, contredit sans cesse ; sa parole a été hésitante et embrouillée, et ses assertions ont paru ne mériter aucune confiance, quel que fût d’ailleurs le sens dans lequel elles se produisaient. Pourtant, à mesure que le procès avançait, qu’on avait moins de prise sur Knezevitch, et qu’enfin l’impossibilité d’échapper à la mort lui apparaissait plus clairement, un reste de conscience s’est réveillé chez lui, et il a affirmé sur l’Évangile que toutes ses accusations étaient mensongères. Il n’avait pas de complices ; ses coaccusés étaient innocens. Au moment de mourir, en face de sa fosse ouverte, devant le peloton d’exécution qui allait le fusiller, il a renouvelé avec un surcroît d’énergie les mêmes protestations. La base même de l’accusation n’existait plus. On croira peut-être que la Cour