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Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 155.djvu/794

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(ministre de l’Intérieur), il est inutile que nous passions sous tous ces feux croisés. Je m’arrange en conséquence pour que les lettres m’arrivent par des voies sûres. Je crois qu’il sera bien que la voie de Mézy ne soit pas entièrement abandonnée, et je crois qu’il serait bon que mon père (le roi) en fît autant. »

Après avoir lu ces détails, on pensera avec raison que la lettre suivante de Louis XVIII à son favori, dont nous ne donnerons qu’un extrait, ne fut pas expédiée par la poste :

« Enfin donc, mon cher, mon bien-aimé fils, je puis te donner ce doux nom. Je puis te dire que je t’aime de tout mon cœur. Les occasions en sont si rares, les circonlocutions qu’il faut prendre habituellement sont si fatigantes !… Je me porte bien. L’horrible douleur de notre séparation s’est un peu amortie. Je m’y attendais et toi aussi, et le sentiment qui nous attache l’un à l’autre est trop vrai pour que je fasse à tes yeux le héros d’amitié. Mais, pour être amortie, c’est-à-dire pour ne plus me faire éprouver une souffrance physique, pour ne plus faire à chaque instant couler mes pleurs, elle n’est ni moins vraie ni moins sentie. Tout m’y ramène, tout te peint à mes yeux ; ils se portent à chaque moment sur ton image[1]. »

Trop longue pour être citée tout entière, cette lettre est triste comme une élégie. En termes de désolation, le roi y déplore l’absence de son fils, et après lui avoir parlé en accens non moins chaleureux de la jeune duchesse, il s’écrie dans un accès d’ardente sentimentalité : « Adieu encore une fois, mon Elie, mon bon fils. Je vous prends tous deux dans mes bras ; je vous presse contre mon cœur, et je vous embrasse de toute la tendresse de votre Louis. »

De telles lettres apaisaient le ressentiment de Decazes, lui rendaient son sang-froid et lui faisaient considérer dans un esprit de résignation relative et de dédain les procédés abominables dont il se savait l’objet. Tantôt c’était Anglès, le préfet de police qui, pour s’assurer la faveur des ultras, allait, en prévision de leur triomphe, clabauder auprès d’eux contre son ancien ministre ; tantôt, on cherchait à « débaucher » les agens que ce dernier avait employés lors de sa présence aux affaires, et on tentait de leur

  1. Il avait fait enlever de son cabinet un portrait de François Ier pour mettre à la place celui de Decazes. Un jour. « la chère image » fut déplacée par on ne sait qui. Le roi entra dans une violente colère et fit rétablir toutes choses comme il l’avait précédemment ordonné.