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Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 155.djvu/912

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homme ou le même corps des principaux, ou des nobles, ou du peuple, exerçait ces trois pouvoirs : celui de faire des lois, celui d’exécuter les résolutions publiques, et celui de juger les crimes ou les différends des particuliers[1]. »

Faut-il conclure de là que, présentement, en France, « il n’y a point de liberté » et que « tout est perdu ? » Mais le fait est, quelle que soit la doctrine, que les trois pouvoirs s’y mêlent et s’y confondent trop souvent deux par deux ; le législatif empiète sur l’exécutif, qui s’en venge en actionnant à l’occasion le judiciaire, sur lequel le législatif, à son tour, prend sa revanche en le domestiquant. Et ainsi s’introduit et s’installe l’anarchie, car il y a anarchie non seulement par défection, mais par confusion des pouvoirs. Il y a anarchie non seulement quand les rouages ne fonctionnent plus, mais quand un rouage ne fait plus ce qui est sa besogne propre et fait ce qui est la besogne d’un autre. Il y a anarchie quand les barrières s’abaissent et quand les frontières s’effacent entre les pouvoirs au point qu’on ne puisse plus distinguer les domaines ; et c’est, dans ces derniers temps, précisément ce que nous avons vu.

Je ne parlerai point ici des rapports de l’exécutif et du législatif : le mélange en est évident, depuis que se forment dans le législatif des comités de vigilance pour contrôler la manière dont le Président de la République exerce la seule prérogative qu’il ait en effet conservée : celle de choisir ses ministres, et depuis que ces mêmes comités ou leurs pareils pèsent jusque sur les actes les plus insignifians de l’administration. Quant aux rapports soit de l’exécutif, soit du législatif (et particulièrement de ce dernier pouvoir) avec le judiciaire, je n’en dirai qu’un mot, à savoir qu’on ne nous a véritablement pas assez ménagé les raisons de nous demander si la politique se fait au Palais de Justice ou si la justice se rend au Palais-Bourbon. Et véritablement on a paru ne rien épargner pour nous faire croire que le judiciaire, sous la troisième République, avait un peu dépouillé son essence ou transformé sa nature pour devenir un nouvel outil de gouvernement, dans la main, toujours rude et lourde, du juge d’instruction. Ou, moins crûment, dans la France d’aujourd’hui, le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire ont eu de trop fréquens et de trop longs contacts. Le législatif a eu trop de prises

  1. Esprit des lois, livre XI, chap. VI. De la Constitution d’Angleterre.