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Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 155.djvu/932

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Dickens, Thackeray, les Allemands Heine et Jean-Paul, nous avons T. Bernard, P. Veber, J. Renard, A. Allais. Comme on dit, cela commence bien. Cela continue mieux. Courteline nous est donné pour un autre Molière. Capus est un second Lesage, et s’il n’a pas écrit Gil Blas, c’est que Lesage, qui fut le Capus du XVIIIe siècle, ne lui en a pas laissé le temps. Jules Renard est tout à la fois La Bruyère et Benvenuto Cellini. L’auteur suppose qu’introduit auprès de lui, il affecte de suffoquer d’admiration et de balbutier des formules pâmées : « Vous êtes un maître, vous le savez bien. » M. Renard le sait, et, nullement embarrassé par ces flagorneries, il y fait écho par une explosion du plus naïf contentement de soi : « Je suis l’homme des petits chefs-d’œuvre, des minuscules, minuscules chefs-d’œuvre… Un Benvenuto Cellini. Mais la foule est bête, elle ne comprend pas. Que lui importent les livres d’une impeccable écriture et d’une exacte observation ? » Maintenant, c’est le tour de M. Tristan Bernard. Dickens sort tout exprès du tombeau pour venir le saluer et l’étreindre convulsivement. « Ainsi c’est vous, vous qu’on appelle Tristan Bernard !… Vous êtes mon fils, mon vrai fils, mon fils unique. » Et, à mesure qu’il continue, il devient évident que, de T. Bernard et de Dickens, l’humoriste n’est pas Dickens. « Moi, toujours emporté par mon imagination, je m’enthousiasme, je m’exalte, je me passionne. Je suis un poète encore plus qu’un humoriste. Mais vous, les classiques vous ont légué toutes leurs qualités, ce goût, cette mesure, cette simplicité qui rendent leurs œuvres impérissables. » Ici le trait est trop appuyé. La plaisanterie, cesse d’être amusante quand il n’y a pas moyen de se méprendre sur sa signification. Mais M. Acker est impitoyable. Il dira encore, raillant les prétentions des humoristes d’aujourd’hui : « Quelques-uns les avaient sans doute précédés, et comme annoncés : Moinaux, Chavette ; mais ils manquaient de littérature. » C’est ainsi qu’il frappe et qu’il assomme à coups de violente ironie.

J’ai dû signaler cette excessive sévérité. Elle a plus d’une excuse. D’abord M. Acker est très jeune, et on n’arrive à l’indulgence qu’avec le temps. Puis, afin de se documenter, il a été obligé de lire d’affilée la « collection des humoristes » suivie de la « collection des auteurs gais. » C’est une épreuve redoutable. Non certes qu’on ait à craindre cet ébranlement du cerveau qu’on ressent à vivre avec des personnes d’une imagination délirante : nos humoristes sont très raisonnables, très appliqués, très sages. Mais l’humour n’est supportable qu’à petite dose ; pareil à l’éloquence continue, l’humour continu ennuie. Tant de drôlerie attriste. On serait tenté d’emprunter à l’un